LES CHOIX DE LA MATINALE

Maintenant que l’équipe de France a fini de coudre sa deuxième étoile, on peut reprendre en masse le chemin des salles. Le rythme estival commence à s’y installer, fait de films d’auteur qui tentent d’éviter la cohue de la rentrée, à l’image du personnage principal du film de Patricia Mazuy, qui bondit dans la garrigue, de divertissements pour petits et grands, et de redécouvertes, celle de la semaine venant d’un recoin méconnu du cinéma transalpin.

« Ant-Man et la Guêpe » : petits avec de grands pouvoirs

Nouvel arrivant dans la transposition à l’écran de l’univers super-héroïque Marvel, l’homme-fourmi nous a été révélé en 2015, sous les traits de l’acteur Paul Rudd, dans un film déjà signé Peyton Reed. Scott Lang (Rudd), sympathique cambrioleur, y endossait la combinaison atomique inventée par le professeur Hank Pym (Michael Douglas), permettant à son possesseur de varier sa taille à loisir et de commander le peuple des fourmis. Il revient aujourd’hui dans Ant-Man et la Guêpe, assigné à résidence et s’occupant, en bon papa gâteau, de sa fille, Cassie. Mais Hank Pym ne tarde pas à le recontacter pour une nouvelle mission : retrouver sa femme, ­Janet Van Dyne (l’ex-Catwoman Michelle Pfeiffer), prisonnière depuis des années de l’univers quantique. Pour ce faire, Ant-Man vole, en compagnie de la propre fille d’Hank et de Janet, la belle Hope Van Dyne (Evangeline Lilly), alias « la Guêpe », dont les charmes piquants ne le laissent pas insensible.

Cette constellation de personnages, d’univers et d’actions parallèles conduit à un point d’orgue bien orchestré, où leur montage télescopé fait habilement monter la mayonnaise. Nonobstant une belle course-poursuite sur terre et une belle divagation vernienne dans le monde quantique, ce n’est pas tant l’action qui fait la vertu de ce film que la volonté de la subordonner à des valeurs nettement plus douces. L’humour, par exemple, avec les descentes régulières, mais à chaque fois couronnées d’insuccès, du FBI au domicile de Scott (toujours de retour à temps).

Ant-Man pourrait d’ailleurs se définir comme la franchise de la décroissance dans l’univers marvélien. Moins de violence. Moins de superpouvoirs. Moins de monstruosité destructrice. Moins de grandiloquence cosmique. Moins de méchants hyperboliques. En revanche, plus de réalisme, plus d’attention aux acteurs, plus de comédie, plus de bricolage kitsch façon science-fiction des années 1980, plus de souci du foyer familial. C’est, si l’on veut, Disney qui prend sa revanche sur Marvel. J.M.

« Ant-Man et la Guêpe », film américain de Peyton Reed. Avec Paul Rudd, Evangeline Lilly, Michael Peña, Michelle Pfeiffer, Michael Douglas (1 h 58).

« The Guilty » : terreur au bout de la ligne

Le premier long-métrage du réalisateur danois Gustav Möller tient du défi, d’un pari fait avec les spectateurs, celui d’un dispositif contraignant, a priori peu spectaculaire, qui maintiendra ceux-ci en haleine durant plus d’une heure vingt. Un policier, muté au standard du commissariat où on l’a relégué à la suite d’une faute professionnelle (la culpabilité sous-tend le comportement du personnage principal), passe son temps à répondre aux appels en tous genres qui lui parviennent. Il intercepte celui d’une femme qui dit avoir été victime d’un enlèvement, emmenée en voiture par son présumé kidnappeur.

Dès lors, l’homme ne quittera plus son poste, tentant de résoudre une série d’énigmes consistant à la fois à écouter, tout en la conseillant, la victime, repérer l’endroit où se trouve la voiture supposément en fuite, dépêcher des hommes au domicile de la femme pour y découvrir peut-être qu’il a été le théâtre d’une tragédie horrible.

L’intérêt, à la fois ludique et pervers, du film de Gustav Möller réside dans la narration d’une action perçue uniquement grâce à la bande-son. Des voix lointaines, chuchotantes ou implorantes, décrivent les conséquences d’un fait divers à jamais invisible aux yeux d’un spectateur réduit au statut d’auditeur, catégorie à laquelle appartient, de facto, le policier lui-même. Le visage de celui-ci devient l’écran. La perversité du scénariste consistera à méduser personnage et spectateur par un retournement qui dévoile l’illusion à laquelle ils ont succombé. Jean-François Rauger

« The Guilty », film danois de Gustav Möller. Avec Jakob Cedergren, Jakob Ulrik Lohman, Laura Bro (1 h 25).

« Laura nue » : portrait de femme libre

Œuvre méconnue d’un cinéaste lui-même un peu oublié, Nicolo Ferrari, aujourd’hui âgé de 90 ans, Laura nue est une pépite sur laquelle le temps a merveilleusement travaillé. Cette coproduction italo-française se proposant d’exposer sans fard les affres de la condition féminine déclencha, en son temps, les foudres des institutions catholiques, et frappe aujourd’hui par sa sensibilité et sa charge politique.

Laura (Giorgia Moll) lambine tous les jours au lit, dans sa chambre d’enfant, atteignant l’âge fatidique où tout le monde autour d’elle la pousse à se marier, que ce soient ses parents, la bonne société où elle évolue, ou son petit ami Franco (Nino Castelnuovo). Elle lui accorde sa main sans conviction et rencontre, le jour même de ses noces, un jeune et ténébreux professeur, Marco (Tomas Milian), dont elle deviendra la maîtresse. Laura entame une carrière d’épouse volage, se donnant librement aux divers hommes qui l’attirent. Mais coucher pour se désennuyer ne débouche sur rien, car ce sont encore les hommes qui en profitent. D’un côté ou de l’autre des conventions, c’est l’amour qui fait systématiquement défaut.

A plusieurs reprises, la caméra s’approche du visage de Laura, qui vient remplir tout l’espace du cadre de son incertitude. En scrutant son regard à la fois doux et sombre, sa détresse, bientôt son innocence perdue, ­Nicolo Ferrari sonde le gouffre existentiel de son héroïne, son mélange de détermination et de fragilité. Sans oublier pour autant de rendre un hommage émouvant à sa beauté frémissante. Mathieu Macheret

« Laura nue », film français et italien de Nicolo Ferrari (1961). Avec Giorgia Moll, Tomas Milian, Nino Castelnuovo, Anne Vernon (1 h 40).

« Paul Sanchez est revenu ! » : Lafitte en bête de Roquebrune

« Trop barré pour le Festival de Cannes » : on se prend à rêver d’une telle bannière publicitaire pour le nouveau film de Patricia Mazuy, qui y fut refusé en mai. La comédie policière avec gendarmette et tueur en cavale y aurait pourtant jeté un vif rayon de soleil, tant l’ambiance y était sépulcrale. Tourné dans le Var, à quelques encablures de là, Paul Sanchez est revenu ! nous remet opportunément en mémoire une cinéaste trop rare (cinq longs-métrages en trente-quatre ans de carrière, et une poignée de téléfilms géniaux). Lieu du crime : Les Arcs, dans le Var, son poste de gendarmerie, son rocher rouge de Roquebrune qui domine la périphérie de la ville.

Dans le premier officie Marion (Zita Hanrot), gendarmette gaffeuse d’une brigade pas moins insolite. Dans les anfractuosités du second se planque un dingue (Laurent Lafitte), sur l’identité duquel plane un mystère qui participe grandement à la réussite du film. Qui est-il au juste ? Un représentant local en piscines répondant au nom de M. Gérard, qui vient de péter une durite et de quitter sa famille, ou l’hydre en personne, le yeti, le Landru, le monstre, le seul et véritable Paul Sanchez, disparu il y a des années après avoir trucidé sa famille ?

Le doute plane tout du long, et ce n’est évidemment pas ici qu’on va le lever. Si ça se trouve, la réponse à cette question n’est pas aussi cruciale qu’on pourrait le penser. L’essentiel serait peut-être ailleurs, dans le télescopage du Gendarme de Saint-Tropez, de Jean Girault, et du Faux Coupable, d’Alfred Hitchcock. Il fallait quand même que quelqu’un le tente un jour. Jacques Mandelbaum

« Paul Sanchez est revenu ! », film français de Patricia Mazuy. Avec Zita Hanrot, Laurent Lafitte, Philippe Girard, Idir Chender (1 h 51).