L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

« Trop barré pour le Festival de Cannes » : on se prend à rêver d’une telle bannière publicitaire pour le nouveau film de Patricia Mazuy, qui y fut refusé en mai. La comédie policière avec gendarmette et tueur en cavale y aurait pourtant jeté un vif rayon de soleil, tant l’ambiance y était sépulcrale.

Tourné dans le Var, à quelques encablures de là, Paul Sanchez est revenu ! nous remet opportunément en mémoire une cinéaste trop rare, dont l’œuvre parcimonieuse (cinq longs-métrages en trente-quatre ans de carrière, et une poignée de téléfilms géniaux) peut toutefois se compter parmi l’école la plus échevelée du cinéma français. Une ligne généalogique folle, qui court de Jean Vigo à Alain Guiraudie, en passant par Jacques Rozier, Luc Moullet ou Jean-François Stévenin. Que des durs à cuire, anarchisants à l’inspiration retorse, qui ont eu maille à partir avec l’industrie, tournent quand ils peuvent, font droit à la poésie, cultivent leur liberté avant toute chose. Auteurs à ce titre de quelques-unes des plus vives flambées du cinéma français, coups de génie qui regardent du côté de l’errance et de l’embardée fantasque, de l’utopie communautaire et de la beauté hasardeuse des choses.

Forte comme la moutarde

Fille de boulangère, ex-HEC convertie au septième art, Dijonnaise forte comme la moutarde, amoureuse des chevaux, tenante d’un cinéma populaire destiné à des gens qu’on ne prend pas pour autant pour des imbéciles, prophétesse des nanas qui ne se laissent pas faire et épingleuse du rapport tordu entre les classes, l’auteure de Travolta et moi (1994) et de Sport de filles (2011) enlève ici une farce noire qui détonne dans notre cinématographie et l’honore ipso facto. Lieu du crime : Les Arcs, pas la commune à laquelle on pense, l’autre, dans le Var, proche du massif des Maures et des gorges du Verdon, avec son quartier médiéval surplombant la ville. Le film se partage entre deux lieux principaux, sans négliger toutefois les parages. Soit le poste de gendarmerie de la commune et le rocher rouge de Roquebrune qui domine la périphérie de la ville.

Dans le premier officie Marion, gendarmette gaffeuse d’une brigade pas moins insolite, commandée par un rugueux commandant dont on se demande s’il est un profond philosophe ou juste un cinoque de plus dans le cirque varois. Dans les anfractuosités du second se planque un dingue (Laurent Lafitte), sur l’identité duquel plane un mystère qui participe grandement à la réussite du film. La situation tourne en effet autour du retour annoncé – réitéré à tous les plans, claironné sur toutes les radios et les télés – de Paul Sanchez, monstre en cavale qui, voilà dix ans, a massacré femme et enfants, et que quelques témoins indéterminés viennent d’apercevoir en train de rôder autour de la gare. Emoi. D’autant plus compréhensible que la ville nous est montrée à rebours du cliché méridional, dans l’insondable routine de son ennui, dans l’indicible laideur de sa périphérie saccagée par les zones commerciales, dans la comptabilité des dépôts de plainte déprimants qui émaillent le quotidien de sa gendarmerie.

Paul Sanchez a la tête hallucinée que lui compose brillamment Laurent Lafitte

Marion – quand elle n’immobilise pas le véhicule de marque allemande haut de gamme de l’acteur Johnny Depp, qui se trouve pourtant à l’arrêt pour cause de fellation – vit seule avec sa tortue et fricote vaguement avec le jeune échotier d’un journal local qui se dessèche à couvrir les prix des plus belles Tropéziennes. Les deux jeunes gens se jetteront donc la tête la première sur l’affaire. Pendant ce temps, en montage alterné, on découvre petit à petit l’homme qui se cache. Il a la tête hallucinée que lui compose brillamment Laurent Lafitte (qui sort déjà d’un rôle de déséquilibré dans Elle, de Paul Ver­hoeven), dort la nuit dans un trou, passe ses journées à vitupérer, à débiter des menaces sanglantes, à commettre de menus larcins et ne dispose plus à l’évidence de toute sa raison. Mais qui est-il au juste ? Un représentant local en piscines répondant au nom de Monsieur Gérard, qui vient de péter une durite et de quitter sa famille, ou l’hydre en personne, le yeti, le Landru, le monstre, le seul et véritable Paul Sanchez ?

Le doute plane tout du long, et ce n’est évidemment pas ici qu’on va le lever. Osera-t-on révéler que, peut-être, si ça se trouve, la réponse à cette question n’est pas aussi cruciale qu’on pourrait le penser ? Que l’essentiel serait peut-être ailleurs ? Dans le téléscopage du Gendarme de Saint-Tropez, de Jean Girault, et du Faux Coupable, d’Alfred Hitchcock, qu’il fallait quand même que quelqu’un tente un jour. Dans la violence sociale qui couve sous la douceur du climat. Enfin, dans la fascination générale exercée par le fait divers sanglant, prisme miroitant dans lequel se reflète une société pétrifiée par l’ennui, la solitude et la peur. La partition décalée de John Cale, à base de flûte et de trompette, orne à plaisir cette bizarrerie frontale de Patricia Mazuy, riant jaune et voyant juste.

Film français de Patricia Mazuy. Avec Zita Hanrot, Laurent Lafitte, Philippe Girard, Idir Chender (1 h 51). Sur le Web : www.sbs-distribution.fr/distribution-france-paul-sanchez-est-revenu