Documentaire sur Arte à 23 h 25

Né à Johannesburg, en 1955, dans une famille blanche et aisée, le plasticien, metteur en scène et cinéaste (d’animation) sud-africain William Kentridge trouvera vite le cœur d’un questionnement sociopolitique : « J’ai senti que quelque chose ne tournait pas rond. Je me suis rendu compte que les domestiques étaient noirs, que ma gouvernante devait s’asseoir au fond du bus : à 7 ans, j’ai eu conscience de vivre dans un monde anormal. »

Ses parents luttent contre l’apartheid, son père, l’un des avocats les plus célèbres du barreau sud-africain, défend Nelson Mandela qui, avec 151 autres Noirs, est accusé de haute trahison. Alors qu’il tente de devenir comédien, en étudiant à l’Ecole Jacques Lecoq, à Paris, William Kentridge comprend vite qu’il est davantage fait pour le dessin, qu’il pratique volontiers au fusain, une technique souple, légère, qui permet l’allusion, le gommage, la reprise.

Artiste « touche-à-tout »

Une matière idéale pour cet artiste qui déteste les messages définitifs et préconçus : « Je me méfie de toutes les grandes idées, et je fais davantage confiance aux petites initiatives. Le monde est fragmenté », dit, dans le documentaire de Nicolas Graef, celui qui porte par ailleurs un regard désabusé sur les années post-apartheid de son pays natal.

On voit aussi Kentridge au travail sur d’immenses tapisseries – qui semblent une écriture contrapuntique savamment pensée, à l’inverse même de l’improvisation que constituerait le dessin –, mais aussi sur des installations multimédias, des dessins animés d’une rare poésie et sur un spectacle de théâtre musical. Ce documentaire constitue un portrait informatif de « l’artiste sud-africain le plus connu aujourd’hui » et de ses méthodes de travail – en équipe le plus souvent –, dans les ateliers où Kentridge conçoit et fabrique les représentations diverses de son univers si attachant.

William Kentridge à Rome, le 13 novembre 2012. / FILIPPO MONTEFORTE/AFP

Il n’empêche : sans vouloir refaire ce film à l’aune de ce que nous aurions voulu y trouver, on dira pourtant que nous semble manquer au propos l’évocation du travail de William Kentridge sur les scènes lyriques internationales. Il avait monté, en 2005, La Flûte enchantée, de Mozart, au Théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, LeNez, de Chostakovitch, au Metropolitan Opera de New York, en 2011 – production reprise avec succès à l’Opéra de Lyon et au Festival d’Aix-en-Provence. Sans oublier, en 2014, à Aix également, une mise en images du Voyage d’hiver, de Franz Schubert, dont l’univers noir – avec sa corneille énigmatique – convient on ne peut mieux au plasticien.

Ce n’est pas qu’on eût voulu entendre les propos de Kentridge sur ces œuvres musicales – son travail parle pour lui-même –, mais il aurait été intéressant de savoir comment cet artiste « touche-à-tout », qui a monté des spectacles multimédias où la musique a une grande part, se confronte à un texte musical et à un livret « fixés ».

On aurait pu aussi imaginer qu’un parallèle soit tracé avec le travail de deux autres plasticiens, David Hockney et Robert Wilson, dont les activités sont en partie comparables à celles de Kentridge, même si elles n’ont pas, il est vrai, la même portée politique. Mais on l’avoue : inutile de refaire le documentaire, et convenons de bonne grâce que son sous-titre (L’art, le poétique et le politique) est clair, et que Nicolas Graef a bel et bien traité le sujet tel qu’il était annoncé.

William Kentridge. L’art, le poétique et le politique, de Nicolas Graef (Allemagne, 2017, 53 min).