David Gaudu, sur ses terres à Lorient, le 11 juillet. / BENOIT TESSIER / REUTERS

Mais que fait cet enfant au milieu du peloton ? Voilà deux semaines que David Gaudu promène de ville en ville son allure juvénile, ses lunettes à grosse monture, l’œil espiègle qui se trouve derrière, et on pourrait croire qu’un junior tente de s’incruster dans une course d’adultes. Mais non, cette silhouette fluette et ces trois poils de barbe sur un visage glabre qui tentent l’échappée en solitaire appartiennent bien à un coureur du Tour de France.

« C’est un gamin simple, mais qui a de l’ambition. Il n’a pas envie de rester un coureur anonyme, ça, c’est clair »

« Sur certaines photos où il pose avec des enfants, on ne sait pas qui est le plus jeune », taquine au bout du fil Thibaut Pinot, le leader de l’équipe française Groupama-FDJ, qui compte dans ses rangs « le petit Gaudu » (1,73m quand même). Cela dit, avec sa tête d’enfant modèle, on ne croirait pas, mais c’est un coureur avec beaucoup de caractère. Et heureusement. » Sur un vélo, l’œil espiègle disparaît. Un de ses entraîneurs de jeunesse disait : « Quand il est en course, il ne faut pas lui demander l’heure… »

A 21 ans, David Gaudu pourrait aujourd’hui répondre que la sienne est arrivée un peu plus tôt que prévu. Le quasi-benjamin du Tour 2018 – seul Egan Bernal, équipier colombien de Chris Froome, est plus jeune – n’aurait pas dû en être. Mais Thibaut Pinot a été victime d’une pneumonie un mois avant le départ. Et voilà comment « le Moustique » est devenu l’un des 35 néophytes du 105e Tour de France à prendre la route à Noirmoutier, avec aucun autre objectif que d’ouvrir grand les mirettes.

« Il est en phase de découverte et d’apprentissage, disons qu’il est en formation accélérée sur ce Tour », explique Marc Madiot, patron de l’équipe FDJ, qui tient à calmer le jeu autour de sa pépite : « Il n’est pas à maturité, il faut le laisser se développer. C’est un gamin simple, mais qui a de l’ambition. Il n’a pas envie de rester un coureur anonyme, ça, c’est clair. A priori, il est bien parti pour ne pas le rester. »

Vainqueur du Tour de l’Avenir 2016

Il ne l’est déjà plus vraiment. Tout le milieu avait eu vent des résultats de l’adolescent Gaudu, et l’équipe FDJ lui a mis le grappin dessus alors qu’il avait 17 ans, et pas encore son bac ES. Sa victoire en 2016 au Tour de l’Avenir, modèle réduit du Tour de France pour les moins de 23 ans, l’a fait connaître des suiveurs occasionnels. Et le grand public, avant de le découvrir cet été, avait eu, dès sa première saison pro, un aperçu du phénomène sur la Flèche wallonne 2017, qu’il avait finie à la 9e place après avoir chatouillé les favoris dans le mur final.

« David est dans les temps de passage pour être un crack »

« Il en est encore aux balbutiements de son métier, annonce Yvon Madiot, frère de Marc, et directeur sportif à la FDJ, mais ce sera sûrement un des top grimpeurs dans les deux ou trois ans qui viennent. » Et pas le genre à « lisser » son effort, le nez collé sur son compteur de watts ou l’oreillette vissée au tympan, non, plutôt « un coureur un peu à l’ancienne, spectaculaire, capable de longues échappées ».

« Son parcours est à peu près le même que celui de Romain Bardet ou Thibaut Pinot, raconte Pierre-Yves Chatelon, sélectionneur de l’équipe de France Espoirs. Mais pour les avoir tous vus passer au même âge, sur l’aspect grimpeur pur, il est un poil au-dessus. Ce sera vraiment un coureur de grands Tours. » Thibaut Pinot anticipe : « David est dans les temps de passage pour être un crack. Dans quelques années, c’est peut-être moi qui l’aiderai, pourquoi pas, à gagner le Tour de France. »

Le Grand-Bornand dans la roue du maillot jaune

L’intéressé n’en est pas encore à ce stade de l’ambition, il se contente d’être « en kif » après ses premiers coups de pédale sur la Grande Boucle ; ravi d’avoir traversé son Finistère natal lors de la 6e étape sur les routes de sa jeunesse, où il se prenait pour Contador ou Valverde ; ébahi par la foule massée sur le bas-côté ; pas effrayé par l’étape électrique des pavés du Nord, pourtant pas faite pour ses 53 kilos ; impressionné par la nervosité permanente au sein du peloton, et le combat sans fin pour être bien placé et éviter les chutes.

Le Tour, « c’est autre chose », dit-il, heureux que celui qui l’intéresse, celui de la montagne, ait enfin débuté. Avant de s’attaquer, jeudi 19 juillet, aux 21 lacets de l’Alpe d’Huez, où il comptait briller lors de la 12e étape, David Gaudu a vécu un moment de grâce, mardi, lors de la première étape alpestre entre Annecy et Le Grand-Bornand, achevée à la 9e place : « Sur le plateau des Glières, j’ai tout fait dans la roue de Greg Van Avermaet [alors maillot jaune], et je me disais “putain, je cours sur un chemin de terre, je suis dans la roue d’un champion !” »

« Il est un peu timide par moments, observe le bienveillant Yvon Madiot, il n’ose pas trop aller dans la bagarre. » Gaudu l’admet volontiers : « C’est sûr que quand je suis à côté de Peter Sagan dans le peloton, je n’ose pas frotter pour me frayer un chemin. Et s’il est derrière et demande à passer, oui, je le laisse passer… » Guillaume Martin, l’un de ses congénères de moins de 25 ans sur le Tour, a tout même bien remarqué la « giclette impressionnante » de cette « petite crevette qui frétille pour remonter le peloton ».

Son premier col, le Tourmalet

Comment devient-on cycliste quand on est le fils d’un carreleur et d’une comptable, et comment devient-on grimpeur quand on naît dans une région dont le point culminant ne dépasse par 385 m ? Réponses : il faut des parents qui aiment le vélo et des vacances dans les Pyrénées. « Mon premier col, c’est le Tourmalet, se souvient Gaudu. Mon père m’avait dit “tiens, on va voir si tu peux le monter”. J’avais alterné un kilomètre à vélo et un kilomètre accroché à sa voiture. Je ne l’ai fait qu’une fois, du coup je ne connais qu’un kilomètre sur deux du Tourmalet. » Il découvrira l’autre kilomètre sur deux, vendredi 27 juillet, lors de l’antépénultième étape du Tour.

En attendant, David Gaudu continue de promener son insouciance au cœur du peloton, mais il lui a mis quelques freins : « Avant, je disais souvent : Le vélo est un jeu. Ça le reste, mais c’est aussi devenu un métier. » « Il ne faut pas qu’il perde la fougue de sa jeunesse », prévient Thibaut Pinot. Voici un objectif majeur pour David Gaudu : grandir, tout en restant un enfant.