Au centre, Paul Célérier, à l’initiative de la création de Campus Market, sur le vélo-chariot qui sert au déménagement des meubles. / Campus Market

Témoignage. Paul Célérier, étudiant en dernière année à l’Ecole des hautes études d’ingénieur (HEI) à Lille, raconte comment, avec sa camarade Elsa Tossé, ils ont imaginé et lancé Campus Market, dont l’objectif est de récupérer et de revendre à bas prix des meubles d’étudiants qui quittent la ville.

« Nous sommes étudiants au sein de la première promotion spécialisation “Smart Cities”, c’est-à-dire sur l’aménagement urbain innovant qui cherche à répondre, entre autres, aux besoins environnementaux. Nous avions envie d’entreprendre après nos études, en faisant quelque chose d’utile pour la planète. On a d’abord pensé à un simulateur de rentabilité de panneaux solaires, avant de se rendre compte que cela existait déjà. Mais ça nous a encouragés à continuer de chercher.

Fin novembre, Elsa a assisté dans notre université à une conférence sur le principe du zéro déchet, dont elle est ressortie très enthousiasmée. On a commencé à se demander comment lutter contre le gaspillage et la surconsommation.

C’est là qu’on a pensé aux étudiants qui ne savent pas quoi faire de leurs meubles quand ils quittent le campus : avec les examens et les stages, ils n’ont souvent pas le temps de les vendre et beaucoup de choses finissent dans la rue. En septembre, en revanche, des milliers d’étudiants arrivent et ont besoin d’équiper leurs appartements, à petit budget et sans voiture. Nous avons eu l’idée de collecter les meubles des étudiants qui s’en vont à vélos-chariots, de les stocker pendant l’été pour les revendre à bas prix en septembre, lors d’un grand événement de rentrée.

Deux vélos-chariots

Nous en avons parlé à des responsables de l’université catholique de Lille, dont dépend notre école, qui nous ont dit que les dépôts sauvages de meubles d’étudiants étaient un vrai problème : en une seule semaine de mars 2017, 170 dépôts sauvages ont été constatés dans notre quartier universitaire de Vauban. Ils génèrent des plaintes des habitants, mais aussi des coûts de ramassage et de recyclage élevés pour les pouvoirs publics. La mairie de Lille, ainsi que la directrice d’Emmaüs Lille nous ont confirmé le manque d’alternatives pour les étudiants.

Nous avons rapidement trouvé nos premiers partenaires financiers (...) et l’association a été rejointe par huit bénévoles

La semaine d’après, nous rencontrions Enactus, une ONG internationale qui propose aux étudiants de les accompagner dans leurs projets d’entrepreneuriat social. Grâce à elle, nous avons rapidement trouvé nos premiers partenaires financiers pour mettre en œuvre le projet (la Fondation Vinci pour la Cité et la Métropole européenne de Lille). L’association a été créée en janvier, et a vite été rejointe par huit bénévoles, des étudiants issus d’autres formations ou écoles qui avaient été sensibles à notre projet. Nous avons pu acheter nos deux premiers vélos-chariots, et imprimer des affiches pour faire connaître l’association. La Fédération des étudiants de l’université catholique de Lille nous a prêté un local de stockage.

On a été très surpris du succès rencontré, parce qu’on n’avait pas eu beaucoup de temps pour communiquer : on a eu 25 demandes dès la première semaine de lancement, fin avril. C’est d’autant plus simple que la prise de rendez-vous s’effectue via un chatbot sur notre page Facebook.

Prochaine étape, une deuxième ville

Les étudiants donnaient souvent quatre ou cinq meubles d’un coup, et la plupart étaient en très bon état. Ils étaient contents de donner, que cela serve à d’autres, et de ne pas les mettre dans la rue. On a récolté tellement de meubles qu’on a organisé une petite vente pour désengorger le local. La « vraie » est prévue toute la semaine du 6 septembre, en extérieur, sous un chapiteau. L’idée, c’est aussi de proposer une fête de rentrée autour de l’économie circulaire, en présentant d’autres initiatives du genre. On a fixé les prix des meubles sur la fourchette basse du marché d’occasion : une chaise coûtera 5 euros, un canapé 50 euros, etc.

L’université catholique de Lille tient à nous aider pour trouver un lieu pour la rentrée, un espace de vente ; on voudrait aussi créer un café solidaire pour rassembler les étudiants autour de projets du même type.

On va se lancer cet été à Roubaix, qui compte 11 000 étudiants

Nous avons reçu des prix des Fondations Deloitte, Veolia et Famae, ainsi qu’un autre qui va nous permettre d’aller à la World Cup Enactus, dans la Silicon Valley. C’est une énorme reconnaissance, qui nous permet de voir plus grand et plus loin, grâce à des fonds supplémentaires : on va se lancer cet été à Roubaix, qui compte 11 000 étudiants. La ville nous a mis en contact avec un particulier qui nous prête un local jusqu’à fin septembre.

Elsa et moi sommes sur le point de partir en stage de fin d’études, on a donc passé la main à une nouvelle présidente, mais nous l’accompagnerons à la rentrée. On aimerait, à terme, créer un emploi pour faire grandir le projet, et, une fois bien installé à Lille et à Roubaix, le dupliquer dans d’autres villes universitaires, et, qui sait, peut-être créer une fédération Campus Market. »