Il faut bien reconnaître que Chris Froome n’a pas l’air au sommet de son art. / Peter Dejong / AP

Le Tour de France 2018 joue de malchance. La Coupe du monde de football avait totalement occulté les dix premières étapes ; les dix dernières sont en train de se laisser éclipser par un autre événement d’ampleur internationale dont la Terre entière guette le moindre rebondissement : l’affaire Alexandre Benalla. Ce monsieur était déjà accusé de tous les maux, on pourra désormais, en outre, lui reprocher d’avoir flingué le Tour.

Il se passe pourtant bien des choses sur cette course, dont le scénario a connu un bouleversement majeur : Geraint Thomas ne se cache plus du tout, il veut remporter le Tour et l’affirme désormais haut et fort. Alors qu’une certaine pudeur confinant à l’hypocrisie avait guidé son discours les jours précédents, le Gallois a ouvert les vannes, hier, l’arrivée de la 14e étape. Dans une semaine, le peloton déboulera sur les Champs-Elysées, et il compte bien y parader en jaune.

Roue de secours

Une question sur la rumeur selon laquelle l’équipe Sky préfèrerait le voir gagner lui, plutôt que Froome, pour d’évidentes raisons d’image et de marketing. Réponse : « Je ne peux pas parler pour les autres, je pense qu’ils seraient contents si l’un ou l’autre de nous deux gagnait. Moi je serais plus heureux si c’était moi qui plutôt que Froomey, évidemment. »

Une question sur la pression qu’entraîne la tunique dorée qu’il porte sur les épaules. Réponse : « C’est beaucoup moins de pression que de disputer une finale olympique de poursuite par équipes à Londres [où il a été médaillé d’or en 2012]. Je pense aussi que la seconde place de Froomey m’ôte beaucoup de pression. Si quelque chose m’arrive, on l’aura toujours dans la course. »

L’axe de rotation de la planète vélo vient de bouger : voilà donc Chris Froome, quadruple vainqueur du Tour, devenu l’égal, voire la roue de secours, de celui qu’on imaginait être son lieutenant. Il faut dire que dans la spectaculaire côte finale de la Croix-Neuve, hier à Mende, Geraint Thomas a, comme dans les Alpes, semblé plus fort que tout le monde. « Être aux deux premières places rend la course très difficile pour nos adversaires, ils ont deux coureurs à surveiller », déclare poliment Froome, dont les jambes ont l’air de se souvenir qu’elles ont couru (et gagné) le Tour d’Italie il y a à peine deux mois.

« Chris, je vais pas pouvoir t’attendre à chaque fois. » / JEFF PACHOUD / AFP

Pour autant, on n’imagine pas tenant du titre l’abandonner si facilement que ça, fût-ce à un coéquipier. La Sky se retrouve dans la situation d’une équipe de Formule 1 dont les deux pilotes occupent les deux premières places d’une course et s’entretuent pour la victoire, laissant gagner le 3e, qui n’en demandait pas tant. Geraint Thomas en a bien conscience : « Le principal, c’est qu’on ne se retrouve pas à courir l’un contre l’autre et que Tom Dumoulin gagne. On aurait l’air plutôt stupide. »

15e étape ce dimanche sous le soleil de l’Aveyron, du Tarn et de l’Aude, du viaduc de Millau aux remparts de Carcassonne. Le Tour file vers le sud, et met le cap vers le Nore, le pic de Nore, obstacle principal d’une journée promise, comme hier, aux baroudeurs, cette espèce qui se cogne chaque année trois semaines de souffrance sur une course où ils ne peuvent espérer lever les bras qu’une fois (deux, les années fastes).

Cela dit, le Pic de Nore ne sera peut-être pas la difficulté majeure du jour pour les coureurs qui ont désormais moins intérêt à regarder devant eux que sur les côtés. Les routes de France ne sont plus sûres. En surgissent toutes sortes de projectiles plus ou moins dangereux.

Que va-t-il donc falloir faire, à quelles extrémités va-t-on devoir en venir pour mettre fin à ces actes indignes ? Poser des barrières à trois mètres de la chaussée tout au long des 3 351 kilomètres du Tour ? Faire payer l’entrée sur le parcours, et signer une charte de bonne conduite à chaque spectateur ? Engager Alexandre Benalla comme responsable de la sécurité du Tour ?

A PART ÇA, voici les stigmates de Luis Leon Sanchez, martyr de la 2e étape.

Départ 13 h 10. Arrivée vers 17 h 45.

Le Tour du comptoir : Saint-Paul-Trois-Châteaux

Chaque matin du Tour, En danseuse vous envoie une carte postale du comptoir d’un établissement de la ville-départ de la veille.

Où l’on ne vend pas de cigales made in China.

Disons-le, Saint-Paul-Trois-Châteaux est la plus grande arnaque de France : il n’y a pas trois chateaux, il n’y en a pas deux, il n’y en a même pas un. Il n’y a pas de château à Saint-Paul-Trois-Châteaux, et c’est à cause d’une erreur de traduction, nous explique Yves Henry : « Certains vous diront qu’il s’agit des trois châteaux des Adhémar (grande famille du Dauphiné, depuis le Moyen-Âge, ndlr), à Montélimar, Suze-la-Rousse et Grignan. C’est faux : les Tricastinum, la peuplade gauloise qui habitait le coin, ont été transcrits du latin de manière erronée en Trois Châteaux. »

Yves Henry, un Parisien - on dit ça sans agressivité, on en connaît des très biens -, est l’affable patron des « Trois Tasses », et là encore il y a tromperie : il y en a beaucoup plus dans ce salon de thé - glacier - chocolatier, situé sur l’une des nombreuses jolies placettes du bourg. L’hiver, le thé cartonne. L’été, les glaces cartonnent. Avant Saint-Paul-Sans-Château, Yves et sa femme Loupile (« C’est son fils qui l’a appelé comme ça, c’est resté ») tenaient une librairie à Aubenas, en Ardèche. On le vise avec un regard de teckel, parce que dans notre tête, le métier de libraire est le plus galère et le plus précaire après celui de cycliste. En fait, non, ça va : « On bossait énormément, avec tous les scolaires. On ne roulait pas sur l’or mais ça allait. »

Quand ils ont été trop fatigués, ils ont voulu bouger, quelque part dans le Sud-Est : « On ne voulait surtout pas la côte, avec cette mentalité de rentabilité à tout prix. Pour nous, la priorité c’est la clientèle. On aime les gens. On a beaucoup de Belges et d’Anglais, qui ont des résidences secondaires. Il n’y a qu’un seul camping : ici, c’est du bon tourisme, pas le tourisme de masse. Personne ne vend de cigales made in China. »

On n’a pas eu le temps de vérifier, mais on ne serait pas étonné que là encore, il y ait tromperie sur la marchandise.