Série documentaire sur Arte à 16 h 40

Photographie de Oksana Yushko. / © Oksana Yushko / Artline Films

Quoi de mieux, pour plonger dans les ­complexités de la Russie, que de suivre à la trace les photographes qui s’évertuent chaque jour à tirer le portrait de leur pays ? Le réalisateur ­Alexander Abaturov propose une plongée passionnante dans les images de ce pays immense et ­excessif, en quatre volets diffusés à la suite sur Arte.

Attentif au regard singulier de chaque photographe et à leurs images sur lesquelles il s’attarde, le cinéaste a lui aussi pris un soin particulier à filmer le pays, ­laissant le temps aux paysages de se déployer sur l’écran, à la neige de tomber en silence. Il a eu la bonne idée, pour la douzaine de photographes choisis, plus ou moins connus, de toujours les suivre sur le terrain, en action, au plus près des sujets photographiés : on prend avec eux le train, on grimpe dans les montagnes de Sibérie (filmées dans toute leur majesté grâce à un drone), on fait le tour d’un minuscule village perdu, on participe à la campagne de pêche dans un bateau, on manifeste contre Poutine dans la mégapole Moscou.

De quoi constater aussi sur place les grandeurs et les difficultés du métier de photographe : Valeri ­Nistratov doit user de tous ses charmes pour convaincre une fermière de poser, quand ­Danila Tkachenko tente de dresser en plein milieu d’un champ, armé seulement de planches et de clous, un carré à la façon de ­Malevitch pour ensuite y mettre le feu – le temps d’une prise de vue.

Un passé réel ou fantasmé

Il y a beaucoup, chez ces photographes russes, d’allers-retours vers un passé réel ou fantasmé, comme si les Russes nostalgiques de leur grandeur perdue ne pouvaient pas se vivre au présent. Alexander Gronsky explore l’utopie soviétique d’une prospérité collective qui ne s’est pas réalisée, en photographiant de façon ­douce-amère les décors déshumanisés des banlieues moscovites. Igor Moukhin expose les images qu’il a prises dans les années 1980, quand la jeunesse se rebellait face au pouvoir soviétique grâce à la musique rock et à la mode, annonçant la chute d’un monde ancien.

Enfin, Alexander Kuznetsov, ancien alpiniste de haut niveau, dit avoir échappé à la grisaille et aux limitations du régime soviétique en se réfugiant dans la montagne. Il est resté farouchement attaché à sa liberté et à celle des autres : il photographie et filme celle qui manque aux orphelins enfermés à vie dans des foyers, ou aux ouvriers devenus « des robots ».

« Une maison sans plancher ni plafond »

Si le deuxième volet, Le Pays ­déchiré, aborde les questions politiques récentes – la guerre en Ukraine, le règne de Poutine, la ­répression policière ou le nationalisme vu à travers les supporteurs de football –, les passages les plus intéressants sont ceux où les photographes creusent cette fameuse « âme russe » pleine de mystère et de passion, prompte aux excès. Un mythe forgé surtout à l’étranger, mais que certaines images tendent à renforcer.

Sergueï Maximichine se dit avant tout influencé par Gogol et son sens de l’absurde. Pour lui, la Russie « est une maison sans plancher ni plafond », attirée par les extrêmes. Ses images de la Russie actuelle, pourtant documentaires, sont à la fois naturalistes et surréalistes, pleines d’humour et d’étrangeté : un foyer d’handicapés qui recrée la Cène, un ­Vladimir Poutine aux allures de zombie menaçant…

Dans le ­dernier épisode de la série, les images sont pleines de poésie, de questionnement et d’humour. Comme les mots des photographes, que le cinéaste parvient à saisir en plein doute, effarés par un pays dont ils n’ont jamais fait le tour.

La Russie dans l’objectif, d’Alexander Abaturov(Fr., 2016, 4 × 26min).