Chronique. Tout a été dit sur Didier Deschamps, tout sera répété, cette fois sur le mode de la louange. Une victoire en Coupe du monde vaut béatification pour son sélectionneur, on le sait depuis qu’Aimé Jacquet a remporté le trophée. Son capitaine d’alors, premier Français à soulever celui-ci, a doublé en Russie le palmarès mondial de l’équipe de France en même temps que le sien. Si la Croatie avait mieux géré sa première mi-temps, une deuxième finale perdue l’aurait fait basculer du côté obscur de la lose, mais ainsi va le football : des scores parfois irrationnels forgent les destins.

À ce niveau de consécration, le sage sait ce qu’il a à faire : se retirer en pleine gloire, se reposer des efforts consentis, vivre de sa rente d’image. Michel Hidalgo en 1984 et Aimé Jacquet en 1998 n’avaient pas tergiversé, à respectivement 51 et 56 ans, prenant la tête de la Direction technique nationale. À bientôt 50 ans, Deschamps n’est pas beaucoup plus jeune, et il est trop intelligent pour ne pas connaître les risques. Il a cependant confirmé qu’il poursuivrait son mandat au moins jusqu’en 2020.

Gagner plus

Il sait sans doute que l’immunité n’est que provisoire, que les critiques sur sa philosophie de jeu sont simplement suspendues, et que les risques de ternir son bilan sont plus grands que les chances d’enrichir celui-ci. Aucun titre mondial ne préserve des difficultés à se qualifier pour le tournoi suivant : Didier Deschamps se souvient d’un billet pour l’Euro 2000 qui n’avait tenu qu’à un penalty dans les dernières minutes d’Andorre-France. « C’est dans les plus belles victoires que l’on fait les plus grosses conneries », a-t-il déclaré au Parisien. Et la « malédiction du tenant du titre » illustre les difficultés des favoris en phase finale, la rapidité des disgrâces.

Qu’est-ce qui incline Deschamps à courir le risque d’un quatrième cycle de deux ans ? Peut-être l’exemple de l’Espagne et de l’Allemagne, qui obtenu des résultats significatifs lors de longs mandats de sélectionneurs. Plus probablement l’envie de marquer encore l’histoire. Par exemple en rattrapant la ligne de palmarès perdue il y a deux ans face au Portugal, c’est-à-dire en remportant l’Euro comme entraîneur après l’avoir remporté comme joueur. Il sait aussi qu’il dispose d’une génération prodigieuse qui a déjà l’expérience de la victoire, et va être propulsée par sa confiance.

Il pourrait chercher au sein d’un club un autre doublé joueur-entraîneur, celui de la Ligue des champions près duquel il était passé en 2004 avec l’AS Monaco. Mais il sait les conditions d’exercice en club, où il est rare d’avoir les coudées franches, et où la précarité règne. En sélection, Deschamps n’est pas près d’être menacé, il n’y partage les responsabilités qu’avec Noël Le Graët – et ce partage est une répartition des tâches. Si le sélectionneur est un homme de pouvoir, c’est surtout un sélectionneur-né, qui se coule parfaitement dans les exigences de la fonction.

Position de force

Les critiques à son égard ont procédé essentiellement d’une méconnaissance des spécificités du football de sélection, avec le temps de travail tactique réduit, le nivellement des valeurs, les pièges des qualifications et des phases finales… Autant de raisons pour lesquelles la priorité accordée à la formation d’un esprit de groupe a fait la différence. Obtenir de joueurs majeurs qu’ils se sacrifient pour le collectif, c’est ce à quoi beaucoup de grandes sélections ne parviennent plus, et c’est à porter au crédit du Basque.

À la lumière de l’ère post-1998, on pourrait s’inquiéter que son style fasse trop école au sein de la Direction technique nationale et de la formation française, avec l’adoption de dogmes qui ne seront pas remis en cause à temps. Mais Deschamps n’est pas un dogmatique : il s’est coulé dans la tendance actuelle qui a accordé une prime aux équipes laissant le ballon à l’adversaire – une réponse opportuniste qui a peu de chance de se muer en philosophie. Quant à son penchant défensif, il l’avait démenti jusqu’au premier match en Russie inclus, montrant des velléités de jouer les cartes offensives de son effectif. Rien ne dit qu’il n’y reviendra pas.

Didier Deschamps ne lâchera donc pas la sélection, n’étant pas du genre à abandonner une position de force. Un choix inverse de celui de Zinédine Zidane, qui a quitté le Real Madrid au pic de sa consécration (et que l’on imaginait prendre sa suite à la tête des Bleus). Deschamps a toujours cru en lui-même, plus encore que ceux qui lui prédisaient très tôt un grand avenir d’entraîneur. Il faut espérer que l’équipe de France continue à y trouver son compte. En tout cas, hier comme aujourd’hui, elle pourrait avoir pire sélectionneur.