Editorial du « Monde ». Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » Donald Trump devrait méditer l’aphorisme de Bossuet à propos de ses récentes diatribes contre la Chine et la zone euro, qu’il accuse de manipuler leurs monnaies respectives, tandis qu’il se dit mécontent des hausses des taux d’intérêt décidées par la banque centrale américaine. Si le dollar est fort aujourd’hui, c’est avant tout le fruit des propres décisions du président américain.

« La Chine, l’Union européenne et les autres manipulent leurs monnaies en baissant leurs taux d’intérêt, alors que les Etats-Unis augmentent leurs taux, avec un dollar devenant de plus en plus fort jour après jour, ce qui dégrade notre compétitivité », a affirmé M. Trump le 20 juillet. Il est vrai que le yuan a perdu 8 % de sa valeur depuis mars, tandis que le dollar s’est renchéri de près de 6 % en six mois par rapport à l’euro. « Les Etats-Unis ne devraient pas être pénalisés parce qu’ils vont très bien », peste le président américain.

C’est justement le « problème », dont M. Trump devrait se féliciter au lieu de s’en plaindre. La gigantesque baisse des impôts sur les entreprises votée fin 2017 a donné un nouvel élan à la croissance américaine. Celle-ci est désormais supérieure à celle de la zone euro, qui, au contraire, connaît un net ralentissement.

Sous l’effet de cette accélération de la conjoncture outre-Atlantique et d’un chômage ramené sous les 4 %, l’inflation décolle enfin, obligeant la Fed à remonter ses taux d’intérêt pour éviter une surchauffe de l’économie. L’Europe, elle, n’envisage pas de relever ses taux avant 2019. Logiquement, cet écart de rendement renforce l’attractivité des Etats-Unis pour les investisseurs, ce qui nourrit la hausse du dollar.

Renoncer à un « privilège exorbitant »

Concernant la dépréciation récente du yuan, M. Trump se plaint, là aussi, d’un problème dont il est en partie responsable. La menace de taxer une grande partie des exportations chinoises à destination des Etats-Unis ne peut qu’inciter Pékin à laisser filer sa devise pour tenter d’absorber le choc. Il semble toutefois peu probable que la Chine aille beaucoup plus loin dans cette direction, au risque d’encourager une fuite des capitaux qui handicaperait à terme son économie. Donc, là encore, la manipulation tient du fantasme.

Après la guerre commerciale, M. Trump agite désormais l’épouvantail d’une guerre des monnaies. Mais le système de taux de changes flottants en vigueur depuis la fin de la convertibilité du dollar en 1971 est ce qu’il est : un système de vases communicants dans lequel une devise ne peut se déprécier que si une autre monte, parfois de façon erratique.

Du fait de la prééminence du dollar sur les échanges mondiaux, il ne tient qu’aux Etats-Unis de prendre l’initiative d’œuvrer pour un système des changes plus stable. L’une des pistes consisterait à renoncer au « privilège exorbitant » du dollar comme monnaie de réserve internationale, considéré d’ailleurs comme l’une des principales causes du déficit commercial américain.

M. Trump ferait ainsi d’une pierre deux coups. Mais, outre sa faible appétence pour le multilatéralisme, il ne peut pas se permettre d’affaiblir le rôle du dollar comme monnaie de réserve, car les Etats-Unis doivent continuer à attirer en masse les capitaux pour financer leur énorme déficit budgétaire creusé par… M. Trump et sa politique économique expansionniste. Le président américain n’a donc pas fini de déplorer les effets dont il chérit les causes.