Jibran Nasir, candidat aux élections générales pakistanaises, à Karachi, le 23 juillet. / AKHTAR SOOMRO / REUTERS

Voilà un homme peu commode. Jibran Nasir, la trentaine, est avocat. Barbe noire et moustache soignée, le verbe batailleur, il déroule un discours résolument laïc, qui le distingue dans les élections générales pakistanaises qui se sont déroulées mercredi 25 juillet. M. Nasir brigue un siège au Parlement, à Karachi, monstre urbain d’environ 20 millions d’habitants – personne ne connaît le chiffre exact –, le plus grand port du Pakistan qui pollue tant qu’il le peut la côte est de la mer d’Arabie. Ses mots d’ordre progressistes et tolérants lui valent l’hostilité de l’extrême droite islamiste, qu’il dénonce.

Depuis deux mois, des partis fraîchement créés, dont certains sont affiliés à des groupes armés interdits, ont imprimé leur marque sur cette campagne. Ils dénoncent la minorité religieuse persécutée des Ahmadi et militent pour le maintien d’une loi draconienne condamnant le blasphème, à l’image du Tehrik-e-Labaik Pakistan, qui se rallie au cri de « Mort aux blasphémateurs ».

Il y a quelques semaines, interpellé dans un rassemblement public à Karachi, Jibran Nasir a refusé poliment de déclarer sa religion. Depuis, de petits groupes de militants islamistes s’invitent à ses meetings. Ils font du bruit, bousculent ses partisans – des jeunes pour la plupart, éduqués et déterminés. Ils viennent les enquiquiner jusque chez eux.

Le 17 juillet, M. Nasir s’est trouvé encerclé par une foule hostile, dans la rue. Il a fallu que les paramilitaires qui tiennent Karachi, les Sindh Rangers, dirigés par des officiers de l’armée, le sortent de ce mauvais pas. Un camarade a fini par glisser à M. Nasir : « Tu vas te faire tuer. »

« Inefficacité incroyable des autorités »

« Cela fait cinq ans qu’on m’accuse de blasphémer, en direct à la télévision comme dans mes meetings. Tant que je suis vivant, on peut dire que ce ne sont que des mots, dit-il, lorsqu’on l’interroge sur la réalité de la menace qui pèse sur lui. Je constate que ces gens agissent librement. C’est le fruit d’une inefficacité incroyable des autorités, ou bien peut-être est-ce planifié, voulu. »

M. Nasir aimerait que les formations politiques dominantes cessent de faire les yeux doux aux factions islamistes et qu’elles dénoncent ensemble leurs excès. Mais il se fait peu d’illusions. Celui que les sondages ont donné favori durant la campagne, l’ex champion de cricket Imran Khan, a capitalisé dans ses discours sur la question du blasphème. Il sait qu’en cas de victoire au scrutin de mercredi, il devra s’efforcer de constituer une coalition fragile avec des indépendants et des formations islamistes.

Mercredi, un attentat suicide a frappé un bureau de vote dans la ville de Quetta, dans la province instable du Baloutchistan (sud-ouest), qui a fait au moins 29 morts. Le 13 juillet, un précédent attentat, revendiqué par l’organisation Etat islamique, avait fait 149 morts, dans la même région, dans un meeting électoral d’une puissante famille locale, proche des services de sécurité. C’était la pire attaque menée dans le pays depuis la fin des dernières opérations majeures de l’armée dans les régions tribales du nord-ouest, refuge des talibans pakistanais, en 2016.

Malgré cet attentat spectaculaire, et plusieurs attaques revendiquées par les Talibans dans les régions pachtounes du nord-ouest, la campagne électorale fut au fond moins violente que celle de 2013. Mais les mouvements radicaux se sont banalisés dans le jeu électoral. Les petits partis qu’ils ont créés sont destinés à obtenir un score modeste dans les urnes, mais ils font du prosélytisme, ils cherchent des partisans, ils influencent.

« Rien de répréhensible ne sort »

« Facebook a fermé hier notre compte principal, sans explications, au dernier jour de la campagne ! C’est dur…, se désole Hanzla, la vingtaine, membre de l’équipe chargée de la communication de l’un de ces mouvements, Allahu Akbar Tehrik. Nous avons pourtant un comité de censure interne : rien de répréhensible ne sort. » Hanzla aura à peine eu le temps de nous offrir un thé au lait, mardi 24 juillet, dans son quartier général à Lahore, capitale de la puissante province du Pendjab (est), où se jouent ces élections. Un coup de fil des autorités nous a fait éconduire poliment. Elles tiennent ces lieux à l’œil.

Hanzla et ses camarades opèrent dans le quartier Mazang, dans le centre-ville, derrière une haute enceinte gardée par de jeunes hommes armés habillés de kaki, d’allure paramilitaire. Des policiers attendent dans la cour. Le mouvement occupe tout un bloc d’immeubles : des militants traînent sur les terrasses, et sur les marches de leur mosquée, dans la chaleur humide.

Le parti exhibe volontiers sur ses affiches le visage d’Hafiz Saeed, candidat à Lahore. L’homme est accusé d’avoir orchestré les attentats de Bombay de 2008, en Inde, qui avaient tué 166 personnes. Il est considéré comme un terroriste par les Nations unies, et Washington a mis sa tête à prix, pour 10 millions de dollars (9 millions d’euros), ce qui ne l’a pas empêché de se faire couvrir de pétales de roses en meeting.

En avril, les Etats-Unis ont placé son mouvement, la Milli Muslim League (MML) sur leur liste des organisations terroristes : ils y voient un paravent du Lashkar-e-Toiba, que M. Saeed a cofondé pour mener des attaques contre des troupes indiennes dans la région himalayenne du Cachemire, que se disputent l’Inde et le Pakistan. La MML s’est vue interdire de participer aux élections. Ses militants, habitués à changer sans cesse le nom et le statut social de leur parti, ont fait comme d’habitude : ils ont rejoint une autre coquille, Allahu Akbar Tehrik, qui présente 253 candidats à travers le pays.