Alexandre Benalla (à d.), le 1er mai place de la Contrescarpe, lors d’un brief par le major à la direction de l’ordre public et de la circulation (DPOC), Philippe Mizerski (au c.). / - / AFP

Qui savait, et quand ? C’est une des questions principales de l’« affaire Benalla » pour permettre de reconstituer les manquements dans la chaîne hiérarchique.

La scène de la place de la Contrescarpe, à Paris, le 1er mai, dans laquelle on voit Alexandre Benalla, chargé de mission à l’Elysée, brutaliser une jeune femme et molester un jeune homme, a été filmée par Taha Bouhafs, un militant de La France insoumise qui a été candidat aux législatives dans l’Isère, et par Nicolas Lescaut, également militant LFI et élu de l’UNEF. Leurs deux vidéos ont été postées sur Twitter le jour même — la première à 20 h 17.

Au terme d’une semaine d’auditions par les commissions d’enquête mises sur pied à l’Assemblée nationale et au Sénat, voici ce que l’on sait des connaissances des différents acteurs du dossier sur l’existence de cette vidéo.

La vidéo était connue dès le 1er mai, selon M. Benalla

Dans un entretien au Monde, Alexandre Benalla assure que c’est dès le 1er mai au soir, une heure et demie après les faits, que deux opérateurs en civil, dans la salle de commandement à la préfecture de police, ont repéré sur Twitter des images de la manifestation de la place de la Contrescarpe.

L’intéressé dit en avoir pris connaissance, avec le major Mizerski et un sous-directeur de la préfecture, dans une pièce attenante à la salle de commandement.

« Je ne comprends pas l’ampleur que ça va prendre, et c’est là justement mon erreur », dit M. Benalla, qui sous-entend ainsi ne pas en avoir fait part à ses collaborateurs.

Le 2 mai, Alexandre Benalla dit recevoir « un coup de téléphone de Patrick Strzoda », le directeur de cabinet du président de la République : « “Alexandre, qu’est-ce que c’est que cette histoire de vidéo, est-ce que vous pouvez venir me voir ?” C’est là que je comprends que j’ai fait une faute. »

Au ministère de l’intérieur, à la préfecture et à l’Elysée, on assure l’avoir découverte le 2 mai au matin

Que ce soit Stéphane Fratacci, directeur de cabinet du ministre de l’intérieur, Michel Delpuech, le préfet de Paris, Alain Gibelin, directeur de l’ordre public à la préfecture de police de Paris, ou encore Alexis Kohler et Patrick Strzoda, respectivement secrétaire général et directeur de cabinet de l’Elysée, tout le monde s’accorde pour dire que c’est le 2 mai au matin que la vidéo sur laquelle apparaît M. Benalla serait officiellement entrée dans le champ des radars.

« Après la réunion d’état-major (ouverte à 8 h 30), je me suis rapproché du chef du cabinet du ministre de l’intérieur pour visionner une vidéo qu’il m’avait signalée plus tôt ce matin-là. J’ai pris connaissance de cette vidéo, et il m’a indiqué que l’auteur des violences était un collaborateur de la présidence de la République, M. Alexandre Benalla. A ce moment-là, le chef de cabinet m’informe qu’il a eu connaissance de cette vidéo par un chargé de mission de la présidence. Après avoir regardé cette vidéo, je me suis, en accord avec le chef de cabinet du ministre de l’intérieur, mis en relation avec le directeur de cabinet du président de la République, pour m’assurer qu’il avait bien eu, à son niveau, connaissance de cette information, ce qu’il m’a confirmé. C’est à ce moment-là, et alors que je m’apprêtais à appeler le préfet de police, pour partager avec lui cette information, que ce dernier m’a contacté. »
« Autour de 10 h 15, alors que j’avais regagné mon bureau, j’ai reçu un appel de Laurent Hottiaux, collaborateur de l’Elysée [conseiller intérieur et sécurité du président de la République]. Il vient aux nouvelles auprès de moi pour me parler de “l’affaire Benalla”, je ne comprends pas ce dont il parle, je n’ai à cette heure-là jamais entendu parler de “l’affaire Benalla”. Je lui dis que je vais me renseigner. »
« Dans le même temps, mon service communication a trouvé la vidéo, nous la visionnons sur grand écran dans le bureau de mon directeur de cabinet. Il est vers 10 h 15, 10 h 30. »
« Après cet appel de la présidence de la République qui m’apprend l’existence de la vidéo Benalla […], j’ai joint en premier lieu le cabinet du ministre de l’intérieur, qui me répond qu’il était déjà informé et déjà en liaison avec l’Elysée sur le sujet. […] Je rajoute que je me suis étonné tout de même de n’avoir pas été alerté par le cabinet du ministre de l’intérieur. »
« Le 2 mai, sur le coup de 9 h 30-10 heures, je reçois sur mon téléphone portable, un coup de téléphone du directeur de cabinet du préfet de police m’informant de l’existence sur les réseaux sociaux d’une vidéo montrant M. Benalla en train de concourir à une interpellation. Il me demande si j’ai des éléments de réponse à apporter. Immédiatement, je regarde sur mon ordinateur, j’ai vu sur YouTube la vidéo. »
« J’ai appris le 2 mai au matin qu’un chargé de mission de l’Elysée aurait eu un comportement inapproprié et choquant. Je l’ai appris en prenant connaissance d’une vidéo montrée par le conseiller en charge des réseaux sociaux, et cette vidéo montrait une scène d’affrontements violents, poursuite assez confuse, et une autre scène qui était celle de l’intervention de ce chargé de mission qui semblait être M. Benalla. »
« J’ai été informé le 2 mai dans la matinée par le conseiller en charge des réseaux sociaux et par le directeur de cabinet de l’Elysée de la publication de la vidéo. Le directeur de cabinet m’indique qu’il a d’ores et déjà convoqué l’intéressé, qui a reconnu sa présence sur les lieux et sa participation à des interpellations. Je m’assure que la préfecture et le cabinet du ministère de l’intérieur sont bien informés. »
« Le 2 mai, Alexandre Benalla vient me voir en m’expliquant qu’il a participé à une interpellation au cours de la manifestation du 1er mai, en raison du fait que des manifestants jetaient des objets sur les forces de l’ordre et sur lui-même. Il m’a montré une bribe de son intervention sur son téléphone portable, je n’ai pas reconnu Vincent Crase et j’ai à peine reconnu et discerné Alexandre Benalla. C’est par la suite seulement, je ne sais plus si c’est le 2 ou le 3 mai, qu’il me dit que Vincent Crase était avec lui. »

Gérard Collomb est informé le 2 mai en début après-midi

Gérard Collomb, le ministre de l’intérieur, assure pour sa part n’avoir été mis au courant de l’existence de la vidéo et des actes commis par M. Benalla que le 2 mai en début d’après midi.

« Ce n’est qu‘en rentrant en début d’après-midi [le 2 mai] que, lors d’un de nos points de situation quotidiens, mon directeur de cabinet et mon chef de cabinet m’informent de l’existence d’une vidéo montrant des faits de violence sur la place de la Contrescarpe, de l’implication de M. Benalla dans ces faits et de la qualité de celui-ci », a déclaré M. Collomb (source : audition devant la commission d’enquête de l’Assemblée, le 23 juillet).

« Ils m’indiquent s’être entretenus avec le préfet de police et avoir porté cette information à la connaissance du cabinet du président de la République, ce qui est une démarche tout à fait appropriée ».

Stéphane Fratacci, son directeur de cabinet, a confirmé : « Le ministre est parti en déplacement sans que nous puissions faire avec lui un point d’actualité du jour, comme nous en avons l’habitude. Dès son retour, vers 15 heures, 15 h 30 au plus tard, nous avions prévu avec le chef de cabinet de faire un point avec lui pour lui présenter la vidéo. » (source : audition devant la commission d’enquête de l’Assemblée, le 24 juillet).

La « police des polices » assure avoir été alertée le 3 mai et n’avoir pas donné suite

Marie-France Monéger-Guyomarc’h, directrice de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) a déclaré, lors de son audition devant la commission d’enquête de l’Assemblée, le 24 juillet, que « l’IGPN a[vait] reçu un signalement de violence policière le 3 mai à 2 h 13, par le biais de la plate-forme Internet, de la part d’un jeune pas témoin des faits, mais qui relayait des images trouvées sur Internet ».

« De notre côté, il n’y a pas de doutes que les protagonistes étaient des policiers. Les agents [qui analysent la vidéo] relèvent qu’il s’agit d’effectifs en civil, que les gestes techniques en opération sont assez mal réalisés, mais sans actions illégitimes », a-t-elle expliqué pour justifier qu’aucune suite n’ait été donnée à ce moment-là.

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