Au terme de 64 heures de débat étalées sur huit jours et quelques nuits et après l’examen de 1 156 amendements dont 188 ont été votés, les sénateurs ont, mercredi 25 juillet, adopté la loi évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (loi ELAN) avec un jour de retard, le calendrier ayant été bousculé par les auditions dans l’affaire Benalla. Les débats avaient démarré mardi 17 juillet et les sénateurs ont bousculé sur nombre de points sensibles et contre l’avis du gouvernement le texte issu de la première lecture de l’Assemblée.

Ainsi, sur la loi littoral, ils ont élargi la brèche déjà ouverte par les députés. Outre l’urbanisation, sous certaines conditions, des « dents creuses » (espaces non construits entre deux zones d’habitation), les sénateurs, à l’initiative des élus de Bretagne, ont décidé d’autoriser, dans les zones non urbanisées, des installations nécessaires aux activités agricoles, forestières, aux cultures marines liées à leur « valorisation locale ». Or, c’est là tout l’enjeu du débat. « En ajoutant les termes “valorisation locale”, on sait très bien que l’on risque de voir des projets de restaurants qui s’inventeront une activité ostréicole ou agricole pour justifier leur création », a déclaré le sénateur de Loire-Atlantique Ronan Dantec (EELV). Un point de vue partagé par le ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard, qui se promet d’y revenir : « Cet ajout constitue une porte très largement ouverte à l’installation de toute une série d’établissements et cela revient à franchir une ligne rouge. »

Vente des logements sociaux

Les sénateurs ont aussi tenu tête au gouvernement sur les normes handicapées, portant à 30 % la part de logements accessibles dans les programmes neufs, contre 10 % dans la version adoptée en première lecture par les députés et souhaitée par le gouvernement : « Un équilibre a été trouvé entre le tout accessible et les 10 % voulus par le gouvernement », a plaidé la rapporteuse, Dominique Estrosi-Sassone (Les Républicains, Alpes-Maritimes), spécialiste du logement.

La réorganisation des organismes HLM a aussi fait débat : pour les obliger à se regrouper, le gouvernement fixait une taille minimale de 15 000 logements, ramenée à 10 000 par les sénateurs. Sur la vente des logements sociaux que le ministère veut encourager, deux innovations ont été apportées par le Sénat, soucieux de redonner du pouvoir aux élus locaux : que les logements ne soient vendus qu’après l’avis conforme des maires concernés et que la moitié du produit des ventes soit réinvestie dans la commune, afin d’éviter la trop forte saignée de territoires déjà fragilisés.

La chambre haute a défié le gouvernement en « détricotant », selon les élus de gauche, ou « ajustant », selon ceux de droite, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU) qui exige 25 % de logements sociaux dans les communes urbaines. Les sénateurs ont d’abord inclus de nouvelles catégories d’habitat dans la comptabilisation de ce que l’on considère comme logement social, comme ceux en accession sociale à la propriété, puis ont repoussé l’échéance de 2025 à 2031 « pour donner une bouffée d’oxygène aux maires », a soutenu Mme Estrosi-Sassone, voire jusqu’en 2040 pour les communes récemment entrées dans le champ d’application de la loi SRU. Ils ont surtout, au grand dam des élus socialistes et communistes, permis de mutualiser à l’échelon intercommunal les objectifs de construction de logements sociaux assignés aux communes déficitaires, une mesure qui ruine l’esprit même de la loi SRU dont l’objectif de mixité sociale est précisément de répartir l’offre HLM. Le ministre s’est là encore promis de revenir sur ces points.

Un camouflet a été infligé par les sénateurs au gouvernement en lui retirant l’habilitation à légiférer par ordonnance pour réformer la copropriété. Enfin, l’action de groupe dans le domaine locatif, pouvant être menée par des associations de locataires, a été rétablie à l’initiative de Martial Bourquin (PS, Doubs).

Seul moment d’unanimité : le vote, sur proposition d’Agnès Canayer (LR, Seine-Maritime), en faveur de la création d’un bail de location intergénérationnel permettant à un jeune de moins de 30 ans de bénéficier d’un loyer réduit en contrepartie de services rendus à son hôte de 60 ans ou plus, et dont un décret fixera le détail.

La loi ELAN ainsi amendée doit faire l’objet d’un examen en commission mixte paritaire avant son vote définitif par l’Assemblée : elle pourrait se tenir d’ici à fin juillet, selon le vœu du gouvernement, et a peu de chances d’aboutir, obligeant à une seconde lecture.