C’est dans un climat plus que tendu que les Comoriens sont appelés à répondre par « oui » ou par « non » à un projet de révision constitutionnelle lundi 30 juillet. Au soir du samedi 21 juillet, Moustadrane Abdou, l’un des trois vice-présidents des Comores a échappé de peu « à une tentative d’assassinat par fusillade » alors qu’il se rendait chez lui à Anjouan.

Si le « oui » l’emporte, des élections anticipées devront avoir lieu en 2019 plutôt qu’en 2021. La réforme voulue par l’actuel président Azali Assoumani modifierait profondément le système de présidence tournante en vigueur depuis 2001, et lui permettrait de se présenter à sa propre succession. Ce que lui interdit la Constitution actuelle qui régit la vie politique des trois îles formant l’Union des Comores : Grande-Comore, Mohéli et Anjouan.

C’est pour en finir avec un long passé de coups d’Etat, d’assassinats ou d’exil de présidents et de crises séparatistes que l’Union des Comores a institué la présidence tournante à mandat unique, à la faveur des accords de Fomboni en 2001. Des accords qui avaient permis le retour à une relative stabilité politique avec trois alternances pacifiques.

Les dispositions de ce projet de révision vont plus loin qu’un toilettage de la Constitution. En voulant supprimer la Cour constitutionnelle et les postes de vice-présidents issus des trois îles, « on modifie la nature du régime », explique le doctorant en droit constitutionnel Mohamed Rafsandjani. Le texte fondamental en vigueur stipule que tous les cinq ans, des primaires sont organisées dans l’île à laquelle échoit la présidence et que seuls les habitants de cette île sont autorisés à voter. Trois candidats sont alors retenus pour les élections générales auxquelles sont convoqués tous les Comoriens. Ainsi en 2021, Azali, issu de Grande-Comore, doit quitter ses fonctions au profit d’une personnalité issue de l’île d’Anjouan pour un nouveau mandat de cinq ans. Mais si le projet de révision constitutionnelle est accepté par les Comoriens, les élections primaires seront remplacées par « un scrutin universel direct majoritaire à deux tours ».

« L’islam est la religion d’Etat »

L’autre grande nouveauté de ce projet est le caractère renouvelable du mandat. « La nouvelle Constitution introduit une subtilité : ce ne sera pas à proprement parler le mandat qui sera renouvelable mais plutôt le tour de l’île qui pourra jouir de la présidence tournante durant deux mandats consécutifs », poursuit Mohamed Rafsandjani. Et permettre ainsi au président Azali de solliciter les suffrages pour dix ans de plus.

Mais le texte va encore plus loin. Le préambule du projet de Constitution dispose que « le peuple comorien affirme solennellement sa volonté de cultiver une identité nationale basée (…) sur une seule religion, l’islam sunnite ». L’article 97 est plus explicite : « L’islam est la religion d’Etat. L’Etat puise dans cette religion, les principes et les règles d’obédience sunnite et de rite chafiite qui régissent le culte et la vie sociale. » L’Union des Comores, petit archipel de l’océan Indien, compte 99 % de musulmans, principalement sunnites. « Avec ce texte référendaire, l’islam sunnite devient un élément de l’identité nationale, analyse Mohamed Rafsandjani, passant d’une religion d’Etat à une religion de la nation avec le risque qu’il soit utilisé pour exclure de la communauté nationale les minorités d’autres obédiences. »

Les chiites sont une minorité continuellement visée par le président de la République, qui n’a pas hésité à déclarer le 17 juillet qu’il voudrait les voir « tous expulsés ». Certains observateurs voient dans ces attaques un moyen d’atteindre l’ex-président Ahmed Abdallah Sambi, membre de la coalition au pouvoir et devenu un opposant du chef de l’Etat en 2017. Considéré comme proche de l’Iran chiite alors que les Comores entretiennent d’étroites relations avec l’Arabie saoudite, renforcées après la rupture des relations diplomatiques avec le Qatar en 2017, Ahmed Sambi est assigné à résidence depuis mai « pour troubles à l’ordre public ».

« Ce projet est dangereux »

L’opposition ainsi qu’une grande partie de la société civile sont vent debout contre cette réforme constitutionnelle. D’autant plus que le 30 avril, le président Azali avait déjà fait transférer les compétences de la Cour constitutionnelle, qui fait office de juge électoral, à la Cour suprême, dont les magistrats sont nommés par le chef de l’Etat « sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature ». Un moyen de « s’assurer de garder la main sur le processus électoral », dénonce l’opposition, qui a manifesté plusieurs fois ces dernières semaines dans les rues de la capitale, Moroni.

Les gouverneurs de Grande-Comore et d’Anjouan et un vice-président ont publiquement rejeté la révision. Le premier magistrat de l’île d’Anjouan, Salami Abdou Salami, de Juwa, le principal parti d’opposition, espère « encore ramener le Colonel Azali à la raison » : « Nous combattrons son entêtement jusqu’à ce qu’il cède la place à un Anjouanais dans trois ans, la stabilité et la paix dans le pays en dépendent, a-t-il déclaré au Monde Afrique. Ce projet est dangereux et fait craindre le pire. »

L’Union de l’opposition, qui a jusque-là justifié son absence de participation à la campagne référendaire par la gravité de la situation, exige avant toute chose le rétablissement de la Cour constitutionnelle. Le gouverneur de l’île d’Anjouan explique que « le boycott n’est pas un simple choix, mais une obligation patriotique ». Et répète à l’envi que « le scrutin du 30 juillet n’aura pas lieu », sans que personne ne sache comment l’Union de l’opposition pourra l’empêcher. Mais, à quelques jours du référendum, l’opposition semble avoir changé de stratégie et enchaîne les meetings sur les trois îles. « Nous avons jugé utile de faire connaître aux Comoriens la dangerosité de ce projet et d’alerter la communauté internationale », explique Youssouf Boina, secrétaire général de l’Union pour le développement des Comores, membre de l’Union.

L’Union africaine (UA), dans un communiqué du 21 juillet, a rappelé « l’environnement paisible dont jouissent les Comoriens à la suite de l’adoption des accords de Fomboni de 2001. La conférence exhorte les parties prenantes à engager le dialogue sans délai et à mener une consultation inclusive sur les réformes constitutionnelles. »