Lors d’une manifestation contre la présidente coréenne d’alors, Park Geun-hye, à Séoul, en février 2017. / KIM HONG-JI/REUTERS

Les ministères sud-coréens de la défense et de la justice vont enquêter sur des allégations fleurant bon le temps des dictatures. Annoncées lundi 23 juillet conformément à une demande du président progressiste Moon Jae-in, leurs investigations devront déterminer les objectifs réels d’un projet d’imposition de la loi martiale élaboré début 2017 par le renseignement militaire (Defense Security Command, DSC).

Conçu apparemment sur ordre du ministre de la défense de l’époque, Han Min-koo, le plan avait pour objectif de reprendre en main un pays alors en proie à d’énormes manifestations contre la présidente conservatrice Park Geun-hye (2013-2017) pour son implication dans un vaste scandale de trafic d’influence et de corruption. Menée pacifiquement, cette « révolution des bougies » avait abouti à la destitution fin 2016 de Mme Park, une mesure confirmée en mars 2017 par la Cour constitutionnelle.

Si elle avait été rejetée par la Cour et si les manifestations s’étaient poursuivies, le DSC, arguant des risques de violences, était semble-t-il prêt à déployer blindés et forces spéciales pour reprendre le contrôle de la rue, à arrêter des élus de l’opposition et bloquer tout vote au Parlement contre la loi martiale, à confier le contrôle des administrations provinciales à des officiers supérieurs ou encore à censurer les médias.

Révélé le 5 juillet par le député de la majorité démocrate Lee Cheol-hui et l’ONG Centre coréen pour les droits humains des militaires, le plan suscite une vive polémique. « Les militaires doivent craindre le peuple plus que quiconque, a lancé le président Moon vendredi 27 juillet. Le DSC doit devenir une unité qui contribue au renforcement de nos capacités de défense en se rangeant strictement à sa mission originelle ». Les conservateurs ont défendu les militaires, qui auraient pour devoir de se préparer à toute menace contre la sécurité nationale.

Rappel des années sombres

La majorité progressiste dénonce de son côté des plans rappelant des années sombres pour la Corée du Sud : en 1979 un coup d’Etat contre le président Choi Kyu-ha (1919-2006), porta au pouvoir l’autoritaire Chun Doo-hwan (de 1980 à 1987), jusqu’alors à la tête du renseignement militaire. Le père de Mme Park, le dictateur Park Chung-hee (1917-1979), était lui-même arrivé au pouvoir par un putsch militaire en 1961.

« Le DSC a montré qu’il n’hésiterait pas à élaborer des plans prévoyant le recours aux armes contre la population », a de son côté déploré le 7 juillet dans un éditorial le quotidien de centre gauche Hankyoreh. La publication est par ailleurs favorable au démantèlement du controversé service créé pendant la guerre de Corée (1950-1953) et coutumier des immixtions dans les affaires d’Etat.

Pour les enquêteurs, la question est de savoir qui était au courant du projet et s’il n’était qu’une option ou un véritable plan d’action, le DSC n’ayant pas le pouvoir d’imposer la loi martiale. Devant la commission parlementaire sur la défense le 24 juillet, le général So Kang-won, du DSC, a affirmé avoir reçu l’ordre de préparer le plan du directeur du service, qui aurait transmis une instruction du ministre de la défense d’alors. Or il est peu probable que ce dernier ait agi sans avoir consulté la présidente de l’époque ou son conseiller à la sécurité nationale.

L’affaire affaiblit l’actuel ministre de la défense, Song Young-moo. Apparemment au courant depuis mars de l’existence du plan, il n’aurait pas transmis à la présidence les documents détaillant le projet, se contentant de l’évoquer brièvement lors d’une réunion en avril. Une négligence qui le place aujourd’hui en situation délicate.