Une caméra de vidéosurveillance de rue. / Sanderflight - Wikipedia Pays-Bas CC-BY-SA-3.0

Qui surveille la vidéosurveillance ? Dans l’affaire Benalla, les vidéos du 1er-Mai sur la place de la Contrescarpe, dans le 5e arrondissement de Paris, filmées par une caméra de la préfecture de police, ont non seulement été conservées dans des conditions troubles, mais elles ont été transmises à Alexandre Benalla, qui dit les avoir lui-même remises à l’Elysée, avant que ces dernières apparaissent en ligne sur un compte Twitter militant pour La République en marche (LRM).

Or, ce n’est pas ce que prévoit la loi. Le cadre légal entourant la vidéosurveillance en France est strict. Les images ne peuvent être conservées que trente jours, hors enquête ; toute personne peut demander l’accès aux images le concernant ; seuls des agents habilités peuvent les consulter, et un certain nombre de conditions doivent être respectées, comme le fait de ne pas filmer l’intérieur de bâtiments. Mais les mécanismes de contrôles sont limités.

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), le gendarme de la vie privée qui dispose de pouvoirs d’enquête et de sanctions dans ce domaine, croule sous le travail : son action couvre tant la vidéosurveillance publique que celle des entreprises. Et la vidéosurveillance n’est qu’une partie de son activité, puisque cet organisme public suit plus largement tous les manquements au respect de la vie privée. En 2017, elle a ainsi effectué 341 contrôles, secteurs publics et privés confondus, dont « 47 concernant la vidéoprotection », selon son rapport annuel (PDF).

Avec deux cents employés et un budget annuel de 17 millions d’euros, impossible de tout suivre. Mais la CNIL a annoncé cette semaine avoir diligenté une enquête sur l’utilisation des images de la place de la Contrescarpe.

Comités d’éthique plus ou moins fantômes

Au tournant des années 2010, lorsque plusieurs grandes villes, dont Paris, ont commencé à s’équiper massivement de caméras, élus locaux et nationaux ont décidé de la mise en place de comités d’éthique. Paris a ainsi son comité d’éthique de la vidéoprotection, qui se réunit régulièrement, mais dont les pouvoirs sont très limités.

« Ce comité est utile, mais il est faible, note Pascal Julien, conseiller de Paris EELV, très critique envers la vidéosurveillance et qui siège au comité. L’affaire Benalla montre que des bandes [vidéo] ont été conservées plus d’un mois. Et que vaut le comité parisien, quand notre seule source d’information est la police ? Nous n’avons aucun pouvoir de sanction, et le comité n’est pas indépendant : jusqu’en 2014, et son ouverture à ma demande aux groupes politiques, la moitié des membres étaient nommés par la préfecture de police, et l’autre par la maire de Paris ! »

Pour autant, M. Julien juge que les comités d’éthique ont un rôle à jouer. « Cela nous permet de vérifier des choses, de soulever des problèmes. J’ai ainsi pu constater que certaines caméras anciennes ont des problèmes techniques pour flouter l’intérieur des bâtiments, ce qui est pourtant obligatoire. Que la procédure pour accéder aux images est quasiment impossible : j’ai moi-même essayé, comme un citoyen lambda, et je n’y suis pas parvenu ! Etonnez-vous, ensuite, qu’il n’y ait qu’une centaine de demandes d’accès chaque année… »

En l’absence d’un budget pour mandater des experts indépendants, le comité d’éthique parisien peut uniquement « essayer de mettre [la préfecture de police] face à ses contradictions », résume-t-il. La situation est similaire dans de très nombreuses villes, où des comités d’éthique ou de contrôle ont été instaurés, mais sans budget et sans réelle indépendance.

Ces comités ne sont pas obligatoires — Nice, l’une des villes comptant le plus grand nombre de caméras par habitant, n’en a pas. Dans la plupart des villes françaises en ayant mis en place, les membres sont nommés par la majorité municipale. Certaines grandes communes, comme Bourges, ont fait le choix d’ouvrir largement le comité à la société civile, mais le comité reste présidé par le maire. Surtout, en dehors des plus grandes agglomérations, rares sont les comités qui ont une réelle activité — faute de saisies par les citoyens, leurs réunions et rapports sont rares, quand ils existent.

A Lyon, le comité d’éthique n’avait reçu, en 2012, que… deux courriers en onze ans d’existence, portant de plus sur des caméras privées. Dans la majorité des cas, les citoyens mécontents saisissent directement la CNIL.

Une grande « commission nationale » peu active

Au niveau national, c’est la loi d’orientation et de programmation pour les performances de la sécurité intérieure, adoptée en 2011, qui a créé une Commission nationale de la vidéoprotection (CNV). Chargé d’une « une mission de conseil et d’évaluation de l’efficacité de la vidéoprotection », cet organisme, dans lequel siègent des élus, des personnalités qualifiées et un représentant de la CNIL, « émet des recommandations destinées au ministre de l’intérieur », et peut « se saisir d’office de toute difficulté tenant au fonctionnement d’un système de vidéoprotection ou de toute situation susceptible de constituer un manquement ». Des pouvoirs non négligeables, garantis par la loi, mais non assortis d’un budget.

Résultat, depuis 2012, c’est le silence radio : la CNV n’a publié aucun rapport d’activité. Sa composition, qui a évolué avec les départs en retraite et les changements électoraux, n’est même pas réellement publique : la page qui lui est consacrée sur le site du ministère de l’intérieur est protégée par un mot de passe. Selon les informations du Monde, aucune réunion de cette commission n’a eu lieu cette année.

La question ne devrait de toute manière plus se poser très longtemps : le Sénat a commencé à examiner, avant une adoption probable à l’automne, une proposition de loi simplifiant la présence des parlementaires dans des commissions extérieures aux assemblées. L’article 80 du texte prévoit la suppression pure et simple de la CNV.

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