Le taux de participation important (82 %) aux élections législatives de dimanche 29 juillet est, en soi, une sorte de victoire pour l’homme fort du Cambodge, le premier ministre Hun Sen. Au pouvoir depuis trente-trois ans, il était important pour le maître du royaume, âgé de 65 ans, qu’un nombre élevé d’électeurs accomplissent leur devoir de citoyens.

C’était pour lui une question de légitimité. Même si la « victoire écrasante » annoncée dans la soirée par Hun Sen sur son compte Facebook pourrait être tempérée par la possibilité d’un nombre important de bulletins blancs ou nuls. « Dans mon bureau de vote, de nombreux électeurs ont rayé leurs bulletins », nous disait S., un jeune intellectuel de 23 ans qui requiert l’anonymat.

Ce pourrait être pour certains Cambodgiens une manière de protester contre des élections du troisième type : après la dissolution, à la fin de 2017, du plus grand parti d’opposition, le Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC), accusé de « complot » contre le gouvernement, l’issue du scrutin ne faisait aucun doute : les dix-neuf partis en lice contre celui du premier ministre, le Parti du peuple cambodgien (PPC), ne pouvaient menacer ce dernier, dont la victoire était acquise.

Hun Sen a choisi la manière forte avant les élections

« A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », a aussitôt réagi dans un communiqué le président du PSNC, le Franco-Cambodgien Sam Rainsy, 69 ans, en exil à Paris. Il a dénoncé de « fausses élections placées sous le signe de la peur [qui] ne peuvent pas traduire la volonté populaire. » Le cofondateur de son parti, Kem Sokha, est en prison depuis bientôt deux ans.

Sam Rainsy, qui avait appelé au boycott, avait déjà déclaré au Monde, peu avant l’élection, que « l’enjeu du scrutin ne sera[it] pas la victoire mais le taux de participation ». Mais il ne se faisait guère d’illusions : « Dans les campagnes, où le contrôle du PPC est permanent, les gens auront peur de ne pas se rendre aux urnes. Les ruraux iront voter contre leur gré », affirmait-il.

Tous les observateurs sont d’accord pour dire que si Hun Sen a choisi cette fois-ci la manière forte avant les élections, resserrant un peu plus l’emprise de son régime sur le pays, c’est bien pour empêcher une possible victoire de ses adversaires le 29 juillet : il y a cinq ans, lors du dernier scrutin, l’opposition avait taillé des croupières au parti du premier ministre, qui avait perdu vingt-deux sièges par rapport à l’élection précédente.

« Nous avons peur d’être sanctionnés »

Dans les ateliers de confection textile, dont la production représente 70 % des exportations du pays, contremaîtres et patrons, pour la plupart proches du gouvernement, avaient exorté leurs employés à aller voter.

« Nous avons peur d’être sanctionnés au cas où notre index ne serait pas taché d’encre quand nous reviendrons au travail mardi », redoutait, en fin de semaine, Lyeen Shinath, 33 ans, syndicaliste dans l’usine chinoise de Roo Hsing — au Cambodge, chaque votant plonge son doigt dans de l’encre noire après avoir glissé son bulletin dans l’urne.

Chaque votant devait plonger son doigt dans de l’encre noire, après avoir glissé son bulletin dans l’urne. / DARREN WHITESIDE / REUTERS

Sur un mode plus anecdotique, la franchise Chatime, compagnie taïwanaise qui sert du thé parfumé, avait promis dès vendredi sur son site une tasse gratuite de bubble tea (thé aux graines de tapioca) à tout client montrant un doigt taché de noir…

Détail, la franchise cambodgienne appartient à Mme Pich Chanmony, épouse de Hun Manet, lui-même fils aîné du premier ministre, personnage qui occupe de très hautes fonctions dans l’aviation et dans les unités antiterroristes du régime.

Opposition divisée

La campagne « doigt propre » de l’opposition interdite ou en exil, qui avait ainsi baptisé ses appels au boycott, aura donc échoué, quelles qu’en soient les raisons. D’autant que les opposants de l’intérieur, dont certains sont désormais à la tête de partis qui se présentaient aux élections, étaient hostiles à ce boycott.

Les adversaires de Hun Sen apparaissent plus que jamais divisés. « Sam Rainsy a échoué, il est politiquement fini ! », déclarait dimanche soir Yang Saing Koma, président du Grassroots Democratic Party (GDP), formation qu’il a cofondée en 2015 avec le défunt critique du régime Kem Ley, assassiné dans des circonstances mystérieuses un an plus tard en plein Phnom Penh.

« J’ai dû me battre durant cette élection contre deux adversaires, a dit M. Yang Saing, 52 ans, dimanche soir, dans la modeste baraque de bois qui lui sert de siège dans la banlieue de Phnom Penh. Contre le premier ministre, Hun Sen, et contre le parti de Sam Rainsy. Ils ont beau être des adversaires politiques, ils se ressemblent. En fait, ils appartiennent à une génération du passé. »