Le Maillot jaune (allégorie). / JEFF PACHOUD / AFP

21E ETAPE : HOUILLES - PARIS, 116 KM

Très franchement, on ne sait pas bien quoi écrire. Geraint Thomas a gagné le Tour de France. Voilà. Le Gallois fait un vainqueur moins lugubre que Chris Froome, lequel, néanmoins, grâce à sa défaite et aux malheurs qui se sont abattus sur lui pendant trois semaines, vient automatiquement de gagner un point dans l’estime des Français. Ce qui lui fait 1 point.

On est content d’avoir vu Geraint Thomas fondre en larmes à l’arrivée hier. Une preuve de sensibilité, dans une course peuplée de types dont on ne voit plus le visage et qui, avec leurs lunettes noires et leurs oreillettes, passeraient pour des vigiles s’ils n’étaient pas si maigres. Une marque d’émotion dans une épreuve qui n’a plus grand-chose de romantique et semble être devenue le temple de la rationalité – mais peut-être ce constat s’applique-t-il en fait à l’époque.

Un peu de débordement, dans une équipe qui contrôle tout. Voilà six ans que les Sky viennent en France au mois de juillet, chloroforment la concurrence et braquent tranquillement la banque sous les yeux d’un public anesthésié.

Quels faits saillants garde-t-on réellement en mémoire ? A quels moments a-t-on vibré depuis le début de l’ère Sky ? L’embrouille interne entre Wiggins et Froome en 2012. La chute de ce dernier qui entraîne son abandon en 2014. Sa folle course à pied dans le Ventoux en 2016. Bref, les rares fois où les choses ne se sont pas passées comme prévu.

Le bonheur du sport, c’est l’imprévu. La Sky n’est pas la seule équipe à tout prévoir, et on ne peut pas lui reprocher de tout prévoir, mais elle le prévoit si bien et avec tellement de moyens qu’elle semble avoir chassé l’aléa.

« Il y a de moins en moins d’espaces pour les coureurs d’instinct comme moi, constate Romain Bardet, qui finit 6e. C’est le cyclisme moderne, avec des équipiers toujours plus forts. On capitalise sur une ou deux grosses étapes, et derrière, on défend. »

Fini, l’attaque à tout va, explique son patron, Vincent Lavenu : « Les leaders n’ont pas 36 cartouches, ils en ont une ou deux, et quand ils font un effort, ils le paient cash derrière. Vous voyez bien que les écarts sont minimes entre les meilleurs. On croit toujours qu’on peut faire des choses chevaleresques comme au temps des années 1960, et partir à 150 bornes de l’arrivée. Ce n’est plus ça, aujourd’hui, le vélo. »

Allez, salut. / JEFF PACHOUD / AFP

C’est quoi, aujourd’hui, le vélo ? Nicolas Portal, directeur sportif de la Sky, répond : « Aujourd’hui, tout le monde sait utiliser les SRM, les compteurs de watts [qui indiquent en direct aux coureurs la puissance développée en pédalant]. Avant c’était les compteurs de vitesse. On disait je suis capable de monter cette côte à 18,5 km/h, donc si mes équipiers montent plus vite, je ne peux pas suivre. Avec les watts, c’est pareil, mais c’est plus précis. Il y a moins de prise de risque, parce que si on prend un risque et qu’on se rate, c’est fini complet. Les gars sont beaucoup plus alertes et savent vraiment bien rouler. »

Les coureurs sont désormais trop forts et trop proches les uns des autres pour être aventuriers. Le vélo, c’est devenu des mathématiques. Et les Sky sont les plus forts en maths. C’est terrible.

Antoine Griezmann, à qui l’on demandait juste avant la finale de la Coupe du monde football si ça l’embêterait d’être perçu comme un champion du monde moche, répondit : « On s’en fout de la manière, de comment on gagne. Je veux l’étoile, et si j’ai l’étoile, je m’en fous du jeu qu’on aura fait. »

Sky pourrait très bien répondre la même chose. On se demande quand même combien de Tours comme celui-ci, on pourra encore tolérer avant d’éteindre la télévision, et d’aller se poster sur le terre-plein central du boulevard Edgar Quinet, à Paris, pour regarder passer les coureurs du critérium de Paris 14e. Très bon documentaire signé La Bordure.

Dans Paris (inspiré de l’œuvre de Philippe Bordas)
Durée : 24:51

Bien. Trois semaines, 21 étapes, 9 cols hors catégorie, et mille ronds-points plus tard, nous voici au bout. Quel bonheur de revenir à la maison.

Merci aux lecteurs qui nous ont accompagnés du départ à l’arrivée, de Noirmoutier à Paris, des champs de patates aux Champs-Élysées. A l’an prochain.

MARCO BERTORELLO / AFP

Départ à 16 h 15. Arrivée prévue à 19 h 15.

Le Tour du comptoir : Espelette

Chaque matin du Tour, En danseuse vous envoie une carte postale du comptoir d’un établissement de la ville-départ de la veille, sauf cette fois, où, pour d’obscures raisons logistiques, on vous écrit de la ville d’arrivée.

Où l’on a.

Le premier samedi du Tour, on a vu Noirmoutier. Une semaine plus tard, les ravissants quais de la Somme à Amiens, au pied de la cathédrale. Une autre semaine plus tard, les splendeurs de l’Ardèche et des Cévennes. Le dernier samedi du Tour, le Pays basque.

Chaque été passé à suivre cette course nous conforte dans l’idée que tous les citoyens d’une même classe d’âge, plutôt qu’un service militaire ou civique, devraient pouvoir faire le Tour de France, pour bien saisir ce que c’est que ce pays, la beauté de ses paysages, la valeur de ses habitants. Le Tour du comptoir 2018 aura été réjouissant sur ce plan-là.

Dernier comptoir du Tour : Espelette, connu de la Terre entière pour le piment qui fait sa fierté, même si « on en a un peu marre d’être réduits à ça », sourient Elena et Ramuntxo, qui servent des cafés et des demis d’Eki au bar de l’hôtel Euzkadi.

Difficile d’esquiver le piment dans cet établissement phare de la ville, tenu par l’homme qui a milité pour que celui d’Espelette obtienne l’AOC, et dont la façade spectaculaire est recouverte du fameux emblème – « On les remplace au bout d’un an par la récolte de l’année d’après, nous dit la patronne, à la réception de l’hôtel. Quand les piments sont vieux, les gens pensent qu’ils sont en plastique. »

La télévision du bar diffuse le contre-la-montre qui couronnera définitivement Geraint Thomas. Elena guette avec une impatience qui nous étonne le passage de Mikel Landa. C’est parce qu’il vient du Pays basque espagnol, nous apprend-elle.

Ramuntxo s’étonne quant à lui de voir l’inscription « Romain Ricard » sur le bitume du Tour. C’est parce qu’il s’agit en fait du coureur « Romain Sicard » et qu’il a mal lu, lui apprend-on. Voilà, chacun s’apprend des petites choses.

Elena s’émerveille devant tous ces drapeaux basques qui s’agitent sur le bord de la route. Ramuntxo attire notre attention sur un autre drapeau que l’on voit ça et là, avec la silhouette du Pays basque sur fond blanc pointé par des flèches rouges, qui réclame le rapprochement des prisonniers politiques basques emprisonnés loin d’ici, à Paris ou à Madrid.

On apprend grâce à ces sympathiques jeunes gens qu’une maison située sur le parcours de l’étape, qui était recouverte de slogans politiques, a été entièrement repeinte avant l’arrivée du Tour pour faire disparaître les inscriptions litigieuses. Quelques-uns ont été de nouveau tagués à la hâte dans la nuit précédant le passage du Tour.

Par ailleurs, sur la ligne d’arrivée, grande première, la présentation est assurée en français et en basque. Même en Corse, qui avait accueilli le Tour en 2013, on n’avait pas vu ça.

Sur une étagère de l’hôtel trône une carte postale dédicacée par Julian Alaphilippe. Une employée nous rencarde : « Il est venu ici il y a quelques mois pour repérer cette étape, et lui et son père étaient venus manger ici ensuite. » Puis, chuchotant : « Je crois qu’ils se sont bien soignés… »

Le Maillot à pois du Tour, en plus des breuvages locaux, avait adoré le gâteau basque de la maison. Samedi, l’hôtel Euzkadi a spécialement envoyé quelqu’un à l’arrivée de l’étape pour lui en apporter un.

FIN.

Vive les cafés, vive la France, vive la République, vive le vélo.