Matthieu Goar, chef adjoint du service politique du Monde, a répondu aux questions des internautes lors d’un tchat consacré aux conséquences politiques de l’affaire Benalla.

Gérard Collomb va-t-il être poussé vers la sortie ? Est-il possible pour Emmanuel Macron de se priver de l’un de ses hommes forts ?

Matthieu Goar : C’est une des conséquences possibles de la crise. Certaines sources au sein de la macronie commencent à évoquer la possibilité d’un remaniement fin août ou début septembre. Gérard Collomb ressort très affaibli de cette crise, car il a esquivé beaucoup de questions lors de ses auditions devant les deux commissions d’enquête. Mais le plus grave pour lui est son affaiblissement auprès de ses hommes : les forces de police sont très irritées par l’affaire Benalla. Beaucoup de responsables policiers ne comprennent pas que M. Benalla ait pris autant d’importance dans l’organisation de la sécurité du président. Si la défiance perdure entre le ministre et la police, son avenir au sein du gouvernement s’annonce compliqué.

Cette histoire va-t-elle peser sur Macron ? On voit des sondages discordants. Est-elle de nature à peser sur les projets de réforme à venir ?

Il est beaucoup trop tôt pour le dire. Ces premiers sondages ne veulent pas dire grand-chose. Par contre, l’affaire a déjà chamboulé l’agenda des réformes, puisque la révision constitutionnelle, un texte important, sera discutée à la rentrée ou début 2019. M. Macron garde tout de même la maîtrise de son quinquennat, mais cette affaire risque de le poursuivre lors de ses déplacements et dans sa relation avec les Français. La plupart de nos concitoyens ne connaissent pas encore très bien ce nouveau président. Beaucoup attendent encore d’avoir une idée précise pour se faire une opinion sur lui, et cette affaire est un élément qui peut faire basculer des indécis.

En cas de remaniement, quels sont à votre avis les ministres menacés ?

Nous avons déjà évoqué Collomb. Ensuite, Christophe Castaner, secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, a été absent de l’Hémicycle lorsque les députés macronistes devaient faire face à l’opposition. Beaucoup lui en veulent. Lors d’une interview sur BFM-TV, il a aussi sorti une phrase qui a provoqué l’ironie quand il a estimé que M. Benalla faisait office de « bagagiste » lorsqu’il était dans le car des Bleus. En cas de remaniement, il pourrait en faire les frais. Surtout que le parti présidentiel, dont il est délégué général, La République en marche, a été incapable d’organiser un début de riposte. De façon plus générale, il y a eu une rupture entre la majorité et certains ministres très absents au début de l’affaire. Les députés estiment que certains se sont « planqués ». Moi je pense que l’Elysée, en restant mutique, a paralysé la plupart des ministres qui doivent tout à M. Macron.

Quand E. Macron aurait-il dû prendre la parole ? En intervenant trop tôt, ne prenait-il pas un risque que de nouveaux éléments (évidemment inconnus de lui) apparaissent ?

Vu l’ampleur de la crise et la désorganisation de sa majorité, il aurait dû parler plus tôt. Son discours du mardi 24 juillet a d’ailleurs ressoudé ses troupes. Mais le président de la République déteste céder à la pression médiatique. D’habitude, il choisit son agenda. Là, il était sur le reculoir et ne voulait surtout pas donner l’impression d’être contraint de parler. C’est pour cela qu’il a attendu. Sans doute qu’une prise de parole plus précoce aurait circonscrit la crise.

Castaner à la buvette, Belloubet qui refuse de répondre, mais applaudit Macron à la Maison de l’Amérique latine, Philippe qui préfère aller voir le Tour de France…, comment interpréter le comportement de ces ministres étrangement absents lors de cette affaire ?

C’est une question intéressante, car elle explique pourquoi la crise s’est prolongée. Et pourquoi une affaire concernant l’organisation de la sécurité à l’Elysée est devenue la première crise politique majeure du mandat de M. Macron. Je pense que les ministres étaient très absents parce qu’ils étaient perdus face à l’attitude de l’Elysée. Le jeudi matin, tous s’attendaient à ce que M. Macron licencie son collaborateur. Or, il ne le fait pas. Et son porte-parole, Bruno Roger-Petit, ment lorsqu’il dit que M. Benalla ne s’occupait plus des opérations en dehors de l’Elysée, alors que des photos le montrent dans le bus des Bleus. Ensuite, l’Elysée s’est muré dans le silence. Le premier ministre et les membres du gouvernement les plus politiciens (Darmanin, Le Maire, Le Drian, etc.) ignorent la marche à suivre. Les ministres issus de la société civile, eux, ne savent tout simplement pas faire de la riposte. La paralysie de la macronie a été provoquée par le mutisme du chef de l’Etat. Cela illustre à outrance la verticalité et le centralisme de son pouvoir. Même si la Constitution ne le dit pas, le fonctionnement médiatique de notre VRépublique est présidentialiste. En tout cas, c’est ainsi que M. Macron exerce son pouvoir (il fait des discours au Congrès, au cœur de la crise, il parle après son premier ministre en se disant le seul responsable…). Cela va encore plus loin que Nicolas Sarkozy avec François Fillon. D’ailleurs, demain, M. Philippe doit certes affronter deux motions de censure, mais l’opposition cherche surtout à affaiblir M. Macron, pas forcément son premier ministre, qui ne sert même plus de paratonnerre au président de la République.

Quelles leçons peut-on tirer de cette affaire pour les oppositions, de droite et de gauche ? Notamment sur leur capacité à parler presque d’une seule voix pour la première fois ?

Ecrasés par Macron depuis le début du quinquennat (le gouvernement a fait passer toutes ses réformes, la mobilisation sociale a été un échec), les différents partis d’opposition se sont saisis de l’occasion pour tenter d’affaiblir la majorité macroniste. La France insoumise, la droite et le Rassemblement national (RN) ont des idées trop différentes pour trouver un front commun depuis un an. Pendant que les mélenchonistes défilaient contre les ordonnances sur le marché du travail, la droite et RN s’attaquaient à M. Macron à propos de l’immigration ou de « l’abandon » de la France rurale. Cette affaire les a fait converger, car elle concerne directement l’organisation de l’Elysée et la personnalité de M. Macron. Les opposants ont réussi à obliger la majorité à créer une commission d’enquête, et leur guérilla parlementaire a paralysé la révision constitutionnelle. Avec les deux motions de censure, les opposants poussent leur avantage jusqu’au bout, même si ce vote sera avant tout symbolique. Les députés macronistes ont reconnu qu’ils avaient manqué d’expérience et qu’ils étaient perdus, car le président ne leur donnait plus la marche à suivre. Mais cela reste une alliance de circonstances, qui ne durera pas. Il n’est pas sûr non plus qu’un opposant s’impose.

La motion de censure commune signée par les trois groupes de gauche à l’Assemblée nationale peut-elle favoriser une reprise du dialogue entre ces différentes forces en vue d’une coopération dans l’opposition à la macronie ?

Non, il s’agit avant tout d’une alliance de circonstance, car aucune de ces formations n’avait les 58 députés pour déposer une motion de censure. Au lendemain du vote sur la motion de censure, la méfiance entre M. Mélenchon, le PS et le PC reprendra ses droits.

S’agissant des commissions d’enquête mises en place par les parlementaires, il semblerait que celle de l’Assemblée nationale soit le lieu des éclats et des provocations alors que celle du Sénat se révèle être plus « sage » Quelle analyse en faites-vous ?

Oui, c’est le sentiment que nous avons aussi. Dès le début, le Sénat a indiqué que son travail d’audition durerait six mois. A l’Assemblée, les auditions ne devaient pas durer plus d’un mois. Et à l’Assemblée certains députés venaient surtout pour provoquer un coup d’éclat. Notre impression est que le Sénat privilégie le fond du dossier alors qu’à l’Assemblée la commission est le lieu d’une bataille politique entre majorité et opposition. La présidente, Yaël Braun-Pivet (LRM), a refusé d’entendre les conseillers de l’Elysée, comme si elle voulait passer à autre chose le plus rapidement possible. Les opposants, dont le corapporteur LR, Guillaume Larrivé, cherchaient, eux, en permanence l’occasion de dénoncer une majorité aux ordres. C’est ce qu’ils ont fini par faire en quittant les auditions. Cette commission d’enquête à l’Assemblée est démonétisée.

François Bayrou, qui est membre de la majorité, mais aussi Philippe Raynaud ou Jean Garrigues critiquent incidemment l’emballement médiatique, auquel Le Monde n’est pas étranger. Cent quatre articles en dix jours dans Le Monde, est-ce sensé ?

C’est une question importante. Le Monde et les autres médias en ont-ils trop fait ? Le Monde a été à l’origine des révélations et a tout de suite considéré que cette affaire était importante. Pendant plus de deux mois, l’Elysée avait dissimulé les violences d’un de ses conseillers. Est-ce une affaire d’Etat ? Il existe un débat entre historiens. Journalistiquement, il y avait en tout cas des points à éclairer sur un personnage de l’ombre proche de M. Macron. S’agissait-il d’une faute individuelle ou existait-il un réseau, une sorte de police parallèle autour de M. Benalla ? A quel point M. Macron a-t-il protégé son conseiller ? Nous avons donc publié toute une série d’enquêtes sur le fond de l’affaire. Nous continuerons. Ensuite, il y a eu aussi beaucoup d’articles strictement politiques, car cette affaire a provoqué une crise au sein de la majorité : l’examen d’un texte de loi a été suspendu, les députés et les sénateurs ont créé des commissions d’enquête, l’Elysée s’est muré dans le silence… On peut débattre sur le fait que les violences de la Contrescarpe constituent une affaire d’Etat, mais il est indéniable que leur révélation a complètement désorganisé la vie politique et l’agenda de M. Macron.

Le Monde n’a-t-il pas honte d’avoir accordé tant d’importance à ce fait divers ?

Ce terme de « fait divers » est intéressant. Il y en a parfois qui disent beaucoup du fonctionnement de la société. Là, nous sommes face à un fait divers qui dit beaucoup du fonctionnement politique de M. Macron. C’est pour cela qu’il est très intéressant. A travers M. Benalla, on s’aperçoit un peu mieux que M. Macron a été obligé de s’entourer rapidement au début de sa campagne électorale, qu’il n’avait pas un immense réseau dans les forces de police, contrairement à M. Sarkozy à l’époque, qu’il est capable de dissimuler des choses, qu’il déteste se séparer de ses collaborateurs, qu’il refuse de céder à la pression médiatique, que sa majorité est perdue lorsqu’il se tait, etc.

Le fonctionnement des réseaux sociaux et les impératifs du modèle économique de la presse en ligne ont-ils influé sur votre traitement de l’affaire ? N’y avait-il pas moyen de prendre quelque distance critique avec les commentaires (watergate, scandale d’Etat, barbouzes, milices privées) qui relevaient de l’exagération ou de l’insinuation ?

Nous avons réalisé une interview de M. Mélenchon, qui compare cette affaire au Watergate : ce sont ses mots, pas les nôtres. Par ailleurs, nous avons donné la parole dans chacun des articles politiques à des proches de M. Macron. Nous avons fait une interview de M. Bayrou qui dit exactement l’inverse de ce que dit M. Mélenchon. Par ailleurs, nous avons fait vivre le débat en donnant la parole à des intellectuels qui considèrent que tout cela n’est pas une affaire d’Etat.

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