Des électeurs patientent devant un bureau de vote de Harare, capitale du Zimbabwe, le 30 juillet 2018. / SIPHIWE SIBEKO / REUTERS

Les Zimbabwéens votaient, lundi 30 juillet, lors des premières élections générales depuis la chute du président Robert Mugabe en novembre 2017 après trente-sept ans de pouvoir. Ces scrutins historiques sont organisés dans un climat de suspicion de fraude.

Vingt-trois candidats, un record, sont en lice pour la présidentielle, organisée en même temps que les législatives et les municipales. La course pour la fonction suprême se joue entre l’actuel chef de l’Etat, Emmerson Mnangagwa, patron de la ZANU-PF, parti au pouvoir depuis l’indépendance du Zimbabwe en 1980, et l’opposant Nelson Chamisa, leader du Mouvement pour le changement démocratique (MDC).

De longues files d’attente se sont formées, très tôt lundi matin, devant de nombreux bureaux de vote de la capitale, Harare. « J’espère un nouveau Zimbabwe », qui « offre des opportunités égales pour tous », a déclaré Lalita Mtetwa, une diplômée de 30 ans au chômage. « On a des millions de personnes éduquées sans emploi et vivant dans la pauvreté, seuls les riches sont dans une meilleure position », a-t-elle fulminé.

« On n’est pas harcelés comme du temps de Mugabe »

« Donnons sa chance » à Emmerson Mnangagwa, plaidait de son côté Paddington Mujeyi, un vendeur de parfum âgé de 30 ans. « Depuis quelques mois, nous avons vu des changements en matière de liberté. On n’est pas harcelés comme du temps de Mugabe. »

Robert Mugabe, âgé aujourd’hui de 94 ans, a dirigé le pays d’une main de fer pendant près de quatre décennies. Il a été contraint à la démission en novembre 2017, poussé vers la sortie par l’armée et par son propre parti, la ZANU-PF, qui ont refusé la perspective de voir sa fantasque et ambitieuse épouse, Grace Mugabe, lui succéder le moment venu.

Il a été remplacé par son ancien bras droit, M. Mnangagwa, qu’il avait démis quelques semaines plus tôt de ses fonctions de vice-président. Ce dernier, âgé de 75 ans, cherche désormais à obtenir par les urnes un pouvoir légitime. Celui qui est surnommé « le crocodile » affirme avoir tiré un trait sur son passé de cacique du régime Mugabe, et a promis de rétablir la démocratie et de remettre sur les rails une économie aux abois.

Soutien inattendu et embarrassant

Son principal opposant, Nelson Chamisa, 40 ans, a voté lundi matin à Harare, dans un bureau du quartier de Kuwadzana où des centaines d’électeurs attendaient calmement leur tour.

« Je n’ai aucun doute que, d’ici la fin de la journée, nous devrions avoir une voix catégorique pour le changement, pour le renouveau, pour la jeunesse que je représente », a-t-il lancé, avant de soulever une fois de plus la question de fraudes possibles, alors que les élections sous Mugabe ont été régulièrement entachées d’irrégularités et de violences. « Dans les régions rurales, […] si les élections sont justes […], la victoire est certaine pour le peuple », a-t-il ajouté.

La veille, il avait le reçu le soutien, inattendu et embarrassant pour lui, de l’ancien président Mugabe. Lors d’une conférence de presse surprise, l’ex-homme fort du pays a appelé les électeurs à faire chuter la ZANU-PF. « J’espère que le vote de [lundi] va faire tomber la forme militaire de gouvernement » actuel, a-t-il lancé depuis sa luxueuse résidence de Blue Roof, à Harare. « Je ne peux pas voter pour ceux qui m’ont mal traité », a-t-il poursuivi, avant de sous-entendre qu’il donnerait sa voix à M. Chamisa, dont il a toujours combattu la formation.

Emmerson Mnangagwa reste toutefois favori pour la présidentielle, mais son avance sur son principal adversaire s’est récemment réduite dans les enquêtes d’opinion. Il est crédité de 40 % des suffrages, contre 37 % pour Nelson Chamisa, selon un sondage publié il y a dix jours par le groupe Afrobarometer.

Si aucun candidat n’obtient la majorité absolue, un second tour sera organisé le 8 septembre.

Une majorité de la population au chômage

Tout au long de la campagne, le président Mnangagwa a promis l’apogée d’une « nouvelle démocratie », ainsi que des milliards de dollars d’investissements pour remettre sur pied une économie ruinée par les réformes catastrophiques de son prédécesseur. Une écrasante majorité de la population est au chômage, et le pays manque cruellement de liquidités, obligeant les Zimbabwéens à faire la queue des heures devant les banques pour obtenir quelques dizaines de dollars en liquide.

M. Mnangagwa s’est également engagé à la tenue d’élections libres et transparentes, à rebours des fraudes et des violences qui ont largement entaché les scrutins de l’ère Mugabe. La ZANU-PF « doit maintenir un semblant d’élections libres et justes pour pouvoir attirer des investissements étrangers », a estimé le cabinet EXX Africa, installé à Londres. « Cependant, de graves inquiétudes subsistent sur la crédibilité du vote », a-t-il ajouté.

L’ONU s’est, elle, inquiétée « des indications […] faisant état d’intimidation des électeurs, des menaces de violence ou de harcèlement » avant les scrutins, mais l’institution a aussi salué « l’élargissement de l’espace démocratique au Zimbabwe ».

Pour la première fois depuis seize ans, des observateurs occidentaux ont été invités à surveiller le vote lundi.

Les bureaux de vote doivent fermer à 19 heures (heure locale, soit 17 heures GMT).