Editorial du « Monde ». La canicule qui sévit encore en France, même si elle n’a pas la même ampleur et ne provoque pas les mêmes dégâts qu’en 2003, repose la question du rôle des urgences. Pivot de l’organisation sanitaire, ces services qui opèrent à l’interface entre médecine de ville et hôpital, soins de routine et intervention de pointe, peinent à faire face à une multitude de demandes. En vingt ans, le nombre de patients des urgences hospitalières est passé de 10,1 millions, en 1996, à 21 millions, en 2016. Mais, comme le souligne dans nos colonnes, le professeur Emmanuel Vigneron, historien de la santé, « 7 % à 8 % de la population, soit 5 à 6 millions de Français, demeure loin des urgences ». « Il y a un vrai sujet d’abandon des zones rurales, ajoute-t-il, où la population n’est même plus suffisante pour permettre la viabilité d’un service même tournant au ralenti et “à perte”… surtout la nuit. »

Chaque été, des petits services d’urgences suspendent leur activité au mois d’août, faute de médecins urgentistes ou remplaçants pour assurer leur fonctionnement. Dans l’un des plus gros services de France, celui de l’hôpital Lariboisière, à Paris, la situation est, selon la CGT, devenue « insoutenable », le remplacement des agents en congé ayant été divisé par deux alors que la fréquentation est en hausse constante cet été, avec des pics de 300 passages quotidiens au lieu de 230 en moyenne. Le résultat est que le temps d’attente augmente et que le contact humain entre les patients et les soignants, primordial dans ces centres, se détériore. L’Association des médecins urgentistes de France s’alarme et assure que « le nombre de services d’urgences est aujourd’hui à un seuil en dessous duquel la population est en danger ».

Un perpétuel recommencement

Tel Sisyphe contraint de remonter sans cesse son rocher, la recomposition territoriale de la carte des urgences est un perpétuel recommencement. En 2015, un rapport du docteur Jean-Yves Grall, directeur de l’agence régionale de santé du Nord-Pas-de-Calais, remis à Marisol Touraine, alors ministre de la santé, préconisait la fermeture de 67 services d’urgences sur 650. L’idée était d’éviter de mobiliser en continu des médecins dans des structures ayant une faible activité globale, avec une affluence inférieure à 10 000 personnes par an. Agnès Buzyn, l’actuelle ministre de la santé, a repris le flambeau. Elle va relancer, à la rentrée, ce chantier, avec l’objectif de « repenser l’organisation territoriale » de la médecine d’urgence à l’horizon 2020. La ministre a déjà prévenu qu’elle pourrait « fermer certains services d’urgences de proximité la nuit ».

La question du maintien de ces 650 services se pose d’autant plus que l’aide médicale urgente est aussi assurée par des services mobiles. Mais avec des disparités sur le territoire. Comme Mme Touraine, Mme Buzyn privilégie le développement de « centres de soins non programmés », où la prise en charge des soins urgents non vitaux devra être assurée par des médecins pas forcément urgentistes, disponibles aux heures de plus forte affluence. Cette solution rejoint les recommandations d’un rapport de Thomas Mesnier, député La République en marche de Charente et ex-médecin urgentiste, qui insiste sur la nécessité de « désengorger » les urgences hospitalières. C’est bien en prenant en compte les besoins de la population qu’il faut poursuivre la mue de ce système, en veillant à assurer l’égalité et la qualité des soins.