L’athlète italienne d’origine nigériane Daisy Osakue, à Turin, après son agression, le 30 juillet. / Alessandro Di Marco / AP

Daisy Osakue rentrait chez elle, dans la nuit de dimanche 29 à lundi 30 juillet, à Moncalieri, une petite ville des environs de Turin (Piémont), lorsqu’une voiture s’est approchée, à pleine vitesse. L’un de ses deux occupants a lancé un projectile en direction de la jeune femme et l’a atteinte en pleine tête, avant que le véhicule ne disparaisse dans la nuit. « J’ai senti un choc très fort au niveau de mon œil. Je me suis jetée à terre, et lorsque je me suis touché le visage, j’ai senti ce liquide. J’étais effrayée, je croyais que c’était de l’acide », raconte, quelques heures plus tard, la jeune femme de 22 ans, aux micros de la télévision italienne.

Il ne s’agissait que d’un œuf. Mais il a touché Daisy Osakue à la tempe, et en éclatant, a endommagé la cornée, faisant craindre, durant quelques heures, qu’une opération serait nécessaire. Selon les médecins, ce risque est écarté. Elle n’aura qu’à porter un bandeau, se reposer quelques jours, puis elle pourra reprendre ses activités.

L’incident aurait à peine été mentionné dans la presse locale si Daisy Osakue était une parfaite inconnue. Mais voilà, cette jeune Italienne de 22 ans, née à Turin de parents nigérians, est un des grands espoirs de l’athlétisme italien. Etudiante dans une université du Texas, elle détient depuis quelques mois le record d’Italie espoirs du lancer du disque, et devrait représenter son pays aux championnats d’Europe qui se tiendront à Berlin du 6 au 12 août. « Ils m’ont sans doute prise pour une prostituée africaine, il y en a beaucoup dans le quartier, a-t-elle confié aux journalistes quelques heures après l’agression, après avoir été soignée dans une clinique ophtalmologique de Turin. Ce qui est clair, c’est qu’il s’agit d’un acte raciste. Ils cherchaient une femme de couleur… »

Sitôt les faits connus, les réactions politiques se sont multipliées. Le vice-président du conseil et ministre de l’intérieur Matteo Salvini (Ligue, extrême droite) a immédiatement parlé de « faits inacceptables », et fait part de son souhait de rencontrer la jeune femme au plus vite, mais cela n’a pas empêché ses opposants de dénoncer la montée, dans le pays, d’un climat de haine de plus en plus exacerbé.

« Racisme rampant »

Des accusations balayées d’un revers de la main par le ministre. « Il y aurait un climat raciste en Italie ? Ne disons pas de bêtises, a-t-il lancé depuis la plage de Milano Marittima (Emilie-Romagne) où il passe ses vacances, avant de rejeter la faute sur ses adversaires politiques. Chaque agression doit être punie et condamnée, mais l’immigration de masse permise par la gauche ces dernières années n’aide pas. » Une rhétorique bien huilée, qui a fait ses preuves par le passé, au moins depuis l’attentat de Macerata, le 3 février : ce jour-là, un militant de la Ligue avait ouvert le feu au hasard sur des migrants, blessant six personnes. Le dirigeant de la Ligue avait rapidement accusé le gouvernement Gentiloni d’être le véritable responsable des violences, à cause de sa politique migratoire.

Six mois plus tard, Matteo Salvini est au pouvoir, et les attaques se multiplient. Depuis début juin et le meurtre du militant syndical Soumaïla Sacko, à San Calogero (Calabre), au moins dix cas dans lesquels des Italiens ont ouvert le feu sur des étrangers ont été rapportés. Dans la nuit du samedi 28 au dimanche 29, dans la province de Latina (environs de Rome), un Marocain est mort dans un accident de voiture. Il cherchait à échapper à des habitants qui l’avaient pris en chasse, persuadés – à tort – de tenir un voleur.

Pour l’opposition de gauche, l’actuel ministre de l’intérieur est le principal responsable de cette explosion de violence. « Salvini alimente ce climat d’intolérance et de racisme rampant dans le silence assourdissant du premier ministre Conte », accuse ainsi le député Federico Fornaro (LeU, dissident du PD).

Du côté du Mouvement 5 étoiles, allié de la Ligue au sein du gouvernement, cette multiplication d’attaques nourrit un certain malaise. Il est perceptible dans les réactions embarrassées du président de la Chambre des députés Roberto Fico, qui a assuré lundi que « le racisme doit être combattu, toujours », tout en niant le fait que le phénomène soit en augmentation, ou du secrétaire d’Etat à l’éducation Lorenzo Fioramonti, invitant les responsables politiques à « mesurer leurs paroles », afin d’éviter que certains se sentent dédouanés et passent à l’acte. Le vice-premier ministre et chef de file du Mouvement 5 étoiles, Luigi Di Maio, a en revanche affiché son soutien à son partenaire de coalition : « Il n’y a pas de montée du racisme, on cherche juste à attaquer Salvini. »

En vacances depuis quelques jours, ce dernier ne semble pas trop ébranlé par ces attaques. Il reste crédité de 50 % d’opinions positives, et son parti est au plus haut dans les sondages. Avant qu’il ne quitte Rome, ses derniers messages auront été pour souligner sa priorité du moment : la lutte contre les marchands à la sauvette qui écument les plages italiennes. Lesquels sont, pour la plupart, des migrants.

En Italie, les crimes racistes ont été multipliés par onze en quatre ans
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