Le président français, Emmanuel Macron, accueille son homologue rwandais, Paul Kagame, à l’Elysée, à Paris, le 23 mai 2018. / LUDOVIC MARIN / AFP

Chronique. Sauf surprise, Louise Mushikiwabo, ministre des affaires étrangères du Rwanda, devrait hériter du fauteuil de Michaëlle Jean à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), lors du sommet qui se tiendra les 11 et 12 octobre à Erevan, en Arménie.

Cette candidature, suscitée par la France puis reprise par le Rwanda avant d’être soutenue par l’Union africaine, a de quoi surprendre au regard du passif entre les deux pays. Kigali a, depuis la rentrée 2010, fait de l’anglais la seule langue d’enseignement public, en remplacement du français. Plus important, son président, Paul Kagame, impute depuis des années et avec constance une immense responsabilité à Paris dans le génocide des Tutsi en 1994. Cette position de pourfendeur de la politique de la France en Afrique a, avec son image de travailleur acharné de la transformation du Rwanda, contribué à asseoir sa stature continentale.

Coup de poker

L’arrivée probable de Louise Mushikiwabo au poste de secrétaire générale de l’OIF peut donc apparaître comme une victoire diplomatique pour chacun des deux pays. Pour Emmanuel Macron, qui tente d’imposer une image publique de liquidateur des fantômes de la Françafrique, faire revenir le Rwanda dans le giron de la francophonie – considérée à tort comme le pré carré français – est un coup de poker. Un acte désolant pour ceux qui considèrent que « la France se couche devant ceux qui insultent son passé », mais aussi une ouverture sur la relation que peut tisser l’ancienne puissance coloniale avec les nations africaines.

Autre avancée de nature à faire briller l’étoile de Paris, M. Macron « rendrait » ainsi à l’Afrique le fauteuil de secrétaire général de l’OIF, que le continent avait perdu lors du sommet de Dakar, en 2014. Face à la multiplicité des candidatures africaines, c’est la Canadienne Michaëlle Jean qui avait été élue.

Mais c’est avant tout pour le Rwanda que l’accession de Louise Mushikiwabo, une très proche de Paul Kagame, à la tête de l’OIF constituerait un succès. En matière de « soft power », il n’y a aucun doute sur la portée symbolique de cette probable élection.

Il est difficile d’avoir une analyse nuancée sur le président rwandais. Les uns le vénèrent, les autres le haïssent. Son statut de leader est en revanche incontestable. Nous en avons si peu sur le continent… Le Rwanda sortait de l’enfer à son arrivée au pouvoir. En moins d’un quart de siècle, M. Kagame en a fait un pays modèle en Afrique pour la gouvernance, la promotion de l’égalité homme-femme, le développement durable et la lutte contre la corruption.

Liberté d’informer

Toutefois, ce « deal » entre les deux capitales soulève un certain nombre d’interrogations. Paul Kagame est à la tête d’un régime autoritaire. La liberté d’expression au Rwanda est minimale, de même que la pluralité politique, et le chemin est encore long pour arriver à des compétitions électorales libres, ouvertes et transparentes.

Inquiet de l’arrivée probable de la chef de la diplomatie rwandaise à la tête de l’OIF, Reporters sans frontières rappelle que, dans son classement 2018 sur la liberté de la presse, le Rwanda est 156e sur 180 pays évalués. L’organisation insiste en soulignant que parmi les 58 Etats membres de la francophonie « seuls cinq […] ont un bilan pire que le Rwanda en matière de liberté d’information ».

L’ancien secrétaire général Abdou Diouf avait réussi à sortir l’OIF de son carcan culturel en la conduisant à prendre position sur les questions politiques, à s’engager dans des combats pour le respect des libertés à travers le monde. Michaëlle Jean, malgré un bilan contesté, a poursuivi sur cette ligne. Des avancées réalisées au Rwanda sur ces questions dépendra en partie la crédibilité des prises de position de leur probable successeure.

Imaginer Mme Mushikiwabo rappeler à l’ordre son pays sur le respect des dispositions de la Déclaration de Bamako de 2000, relative à la démocratie et aux droits humains, ne serait pas la plus désagréable des surprises.