Documentaire sur Arte à 22 h 25

Le savant, « l’homme qui voulait nourrir l’humanité », c’est Nikolaï Vavilov, un brillant botaniste soviétique, victime des purges staliniennes. L’imposteur, c’est Trofim Lyssenko, un obscur technicien agricole dont la carrière, favorisée par Staline, se poursuivra jusque sous Khrouchtchev. La réalisatrice Gulya Mirzoeva, née au Tadjikistan, de culture russe, et qui vit aujourd’hui en France, raconte, dans ce documentaire constitué uniquement de films d’archives – dont de nombreuses inédites –, cette rivalité aux conséquences dramatiques. Le texte, dit par l’actrice d’origine russe Marina Vlady, restitue tous les espoirs trahis, les drames individuels et les tragédies collectives qui pesèrent au XXe siècle sur l’Union soviétique.

L’histoire commence dès avant la révolution, quand Vavilov, jeune agronome, parcourt le monde en quête de semences en vue d’inventorier la biodiversité et d’améliorer la production agricole de la Russie. Cette mission lui est confirmée par Lénine lui-même, alors que le « communisme de guerre » a des effets tragiques pour la paysannerie soviétique. Les campagnes de ce qui fut « le grenier à blé de l’Europe orientale » sont frappées par la famine, et les villes ne sont plus approvisionnées. La Nouvelle Politique économique, adoptée alors, visera à relâcher la pression sur les paysans, en les incitant à vendre volontairement leur production. Avant que le nouveau maître du Kremlin, Staline, n’entame un virage à 180 degrés et entreprenne la « dékoulakisation » (l’élimination des paysans « riches ») et la collectivisation brutale de l’agriculture.

Les kolkhozes, un échec

Les kolkhozes, ces fermes collectives, seront un échec, dont les artisans de la Grande Terreur essaieront de faire porter la responsabilité, au cours de procès retentissants, à de prétendus « saboteurs ». A commencer par ces scientifiques qui s’accrochent aux lois « bourgeoises » de la génétique et doutent des effets, sur la croissance du blé, des résolutions votées dans des « congrès de paysans kolkhoziens de choc ». Le tout-puissant Staline, le vrai responsable du désastre, en quête de coupables qui le dédouaneraient, trouvera un instrument de propagande en la personne de Lyssenko. Celui-ci proposera simplement la réhabilitation de pratiques agricoles anciennes ou, plus délirant, la plantation de « murs » constitués de millions d’arbres pour détourner le vent, qui sera un fiasco… à grande échelle.

Nikolaï Ivanovitch Vavilov, généticien et botaniste soviétique. / © ARTE / Sunset Presse / Point du Jour

Lyssenko, devenu accusateur public, n’hésitera pas à frapper de sa vindicte celui qui fut un temps bienveillant à son égard : Vavilov lui-même. Bien qu’il ait constitué, grâce à ses nombreuses expéditions et à ses expérimentations dans des stations scientifiques réparties sur l’immense territoire de l’URSS, une banque de semences sans équivalent, celui-ci voyait son sort scellé. Emprisonné après une condamnation à mort ­prononcée par un tribunal militaire, il mourut de faim dans sa prison, en 1943. Durant le dramatique siège de Leningrad, ses collaborateurs à l’Institut pansoviétique des productions végétales préférèrent mourir de faim, eux aussi, plutôt que de livrer les précieuses semences. Aujourd’hui, l’institut porte le nom de son fondateur. Et les milliers de boîtes métalliques contenant le patrimoine de la ­biodiversité alimentaire de ­l’humanité y sont toujours conservées…

Le Savant, l’imposteur et Staline, de Gulya Mirzoeva (France, 2017, 54 min). Le 31 juillet à 22 h 25.