Julian Koechin, Max Hubacher (comédien principal), un figurant et Joshua Schmidli dans « Mario ». / Edi Rieben

L’avis du « Monde » - A voir

« Sois hétéro et tais-toi », telle est la version masculine du « sois belle et tais-toi » dans le milieu du football masculin de haut niveau. Mario, de Marcel Gisler, ouvre un chapitre sur la question taboue de l’homosexualité sur le terrain, et dans les vestiaires. Pas vraiment fan du ballon rond, le réalisateur suisse s’est lancé dans cette aventure en 2010 avec son coscénariste Thomas Hess, constatant, un peu surpris, qu’aucun long-métrage n’avait abordé jusque-là ce sujet à fort potentiel dramaturgique.

Le film raconte l’amour impossible entre Mario (Max Hubacher) et Léon (Aaron Altaras), deux joueurs prometteurs qui évoluent dans le même club, le FC Sankt Pauli, basé à Hambourg. Le film a été tourné dans ce club réputé pour son ouverture sur l’égalité des droits et des sexualités. L’équipe du film a pu bénéficier de ses infrastructures et de la présence de joueurs semi-professionnels – les vrais joueurs étant pris par des matchs de championnat. Mario a également reçu le soutien du Berner Sport Club Young Boys de Berne.

Marcel Gisler, réalisateur : « Mario est un miroir de l’hypocrisie de notre société. Dans les pays occidentaux, on se dit tolérants à l’égard de l’homosexualité, mais parfois il y a des enjeux plus importants, comme l’argent… »

Très documenté, le scénario pointe deux ennemis sur la carte de Tendre, l’homophobie latente au sein de l’équipe, et l’enjeu de la cote des joueurs, avec des sponsors prêts à tout pour faire passer un homo pour un hétéro. Il existerait même des agences proposant des jeunes femmes aptes à figurer la compagne de tel champion homo. Les deux scénaristes de Mario ont trouvé une autre idée pour traiter la parodie du joueur et de sa – forcément – jolie femme. « Mario est un miroir de l’hypocrisie de notre société. Dans les pays occidentaux, on se dit tolérants à l’égard de l’homosexualité, mais parfois il y a des enjeux plus importants, comme l’argent… », déclare au Monde Marcel Gisler. Il s’explique au téléphone, depuis la Suisse : « Dans d’autres disciplines, où l’enjeu commercial est moindre, des sponsors ont pu soutenir des sportifs gay. Dans le foot, c’est différent : les joueurs doivent continuellement augmenter leur valeur de marché. Il ne faut donc pas se fermer des portes. Si un footballeur souhaite rejoindre un club en Russie, il ne doit pas parler de son homosexualité. Et la prochaine Coupe du monde, en 2022, aura lieu au Qatar, où l’homosexualité est condamnée », résume le cinéaste.

Enfouissement de l’identité

On ne connaîtra pas le nom du manageur suisse qui lui a parlé de la réalité gay dans des clubs allemands. Mais on sait que l’ancien joueur allemand Marcus Urban, l’un des premiers footballeurs de renom à avoir révélé son homosexualité – en 1993, à l’âge de 23 ans –, a lu le scénario de Mario et a donné « quelques conseils » à Marcel Gisler. Dans un entretien à 20 Minutes, en 2008, il expliquait comment il s’était menti à lui-même pendant des années. Son entraîneur lui avait fait comprendre qu’il n’y avait pas d’alternative à l’hétérosexualité. Un jour, il lui avait dit : « Maintenant, vous avez 18 ans, et vous pouvez accueillir une fille dans votre chambre. Le contraire me décevrait profondément… »

Mario explore cet enfouissement de l’identité et cet accommodement à la négation de soi. Le personnage de Mario est pragmatique. Tout amoureux qu’il est, il veut bien maquiller la réalité dans l’espoir de franchir les barrières qui se dressent les unes après les autres devant lui, tandis que Léon serait prêt à sacrifier sa carrière pour vivre son idylle. Le romantisme de l’un se heurte à une certaine froideur de l’autre. Crash assuré… Même au faîte de sa gloire, Mario semble minuscule et perdu au milieu de l’immense terrain, qui retentit pourtant des acclamations du public. Le film réussit à nous toucher avec un sentiment universel : la solitude.

Le film montre des moments d’entraînement aussi beaux qu’inattendus, pour la douceur qui s’y exprime entre les joueurs

Le temps de quelques images, trop courtes malheureusement, Mario montre des moments d’entraînement aussi beaux qu’inattendus, pour la douceur qui s’y exprime entre les joueurs. On se demande alors comment cette fraternité peut virer à la haine dès lors que la sexualité de l’un sort de la « norme » hétéro.

De fait, il est rarissime, dans le foot, qu’un joueur célèbre se dise ouvertement gay. En 2014, l’international allemand Thomas Hitzlsperger a été l’un des premiers à faire son coming out, dans le magazine Zeit, alors qu’il prenait sa retraite à 31 ans. En juin 2018, l’Américain Collin Martin, 23 ans, est devenu le deuxième joueur ouvertement gay à évoluer en Major League Soccer, en publiant sur les réseaux sociaux une photo de lui entouré du drapeau arc-en-ciel, gay friendly. L’Américain Robbie Rogers l’avait précédé en 2013, faisant « ses aveux » sur son blog à l’âge de 25 ans, alors qu’il quittait le club anglais de Leeds United – avant de rejoindre le Los Angeles Galaxy.

En arrivant sur les écrans français le 1er août, Mario va croiser la route des Gay Games, qui ont lieu du 4 au 12 août à Paris. Son parrain n’est autre que la star Lilian Thuram, vainqueur de la Coupe du monde avec les Bleus en 1998, par ailleurs très engagé contre le racisme et l’homophobie. Le distributeur de Mario, Epicentre, a fait le choix de ne pas sortir le film pendant la Coupe du monde, de peur que les salles de cinéma soient vides. Tant pis pour le pavé qui aurait pu être lancé dans le milieu du « foot ­hétéronormatif », pour reprendre l’expression du réalisateur.

Mario (2018) | LGBT Drama (Switzerland) Film - Official Trailer (SUBS) [ENG, FRA, POR, Pyc, ESP]
Durée : 02:07

Mario, film suisse de Marcel Gisler, avec Max Hubacher, Aaron Altaras et Jessy Moravec (1 h 59). Sur le web : www.facebook.com/epicentrefilms, www.epicentrefilms.com/Mario-Marcel

Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 1er août )

A l’affiche également

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  • Une Famille italienne, film italien de Gabriele Muccino
  • Les Versets de l’oubli, film français, allemand, néerlandais et chilien d’Alireza Khatami