Entraînement de l’équipe mixte de natation synchronisée du Paris aquatique pour les Gay Games, en juillet 2018. / Laetitia Béraud

La chorégraphie est millimétrée, les corps gainés, les jambes tirées vers le haut. Dans un mouvement vif jaillissent de l’eau plusieurs têtes de femmes… et d’hommes. En ce soir d’été, l’équipe mixte de natation synchronisée du club Paris aquatique est en pleine répétition en vue des Gay Games.

Le club organise les épreuves de natation de cet événement multisports mondial, créé en 1984, qui se déroule cette année à Paris du 4 au 12 août. Ouverts à tous et à toutes, les Gay Games visent à lutter contre les discriminations dans le sport. C’est aussi un des lieux d’expression historiques des rares hommes pratiquant la « synchro ».

Longtemps réservée aux femmes, cette discipline s’ouvre peu à peu aux nageurs. Et le club LGBT parisien n’y est pas étranger. Après les Gay Games d’Amsterdam en 1998, Paris aquatique fut le premier en France à encourager des hommes à se lancer, avant de pousser la fédération à ouvrir ses championnats à la mixité en France dans les années 2000.

Notre reportage aux Mondiaux 2015 : La natation synchronisée s’essaie à la mixité

Depuis 2015, avec l’introduction des duos mixtes aux Mondiaux, on voit même des hommes dans les bassins de « synchro ». Enfin, on parle maintenant de « nage artistique ». Un nouveau nom pour se rapprocher d’autres sports plus développés et complètement mixtes, comme le patinage artistique, mais qui ne suffit pas à faire sortir la discipline de l’ombre. Ainsi, les nageurs artistiques ne peuvent toujours pas participer aux Jeux olympiques.

« Un sport physique, complexe et technique »

La nage artistique a pourtant tout d’un sport à part entière. Elle demande à la fois puissance et souplesse. Alors que le spectateur voit les figures à l’air libre, tout se passe en réalité dans l’eau, les jambes et les bras travaillant pour maintenir le corps dressé. Et le tout la plupart du temps… sans respirer.

« Je n’ai aucune volonté militante, mais je trouve ça incroyable qu’un sport aussi physique, complexe et technique n’ait pas sa place dans le sport masculin », déplore Matthieu Durbec. Cet ancien danseur est l’un des huit « synchromen » du Paris aquatique. Cette année, il a participé aux championnats de France. Organiser les Gay Games à domicile est une fierté pour lui.

Arrivé par hasard à la discipline alors qu’il cherchait un club de plongeon, le nageur ne s’y trompe pas : la natation synchronisée masculine est presque complètement inconnue, même dans le milieu.

En quête de visibilité

Cette invisibilité ne facilite pas le développement du sport. Faute de nageurs et de moyens, le Paris aquatique n’a plus d’équipe 100 % masculine depuis 2014. Il faut dire que l’apprentissage est si long qu’il vaut mieux commencer tôt. « Tout le monde ne peut pas devenir danseur professionnel, mais tout le monde peut danser. En synchro, c’est complètement différent », explique Matthieu Durbec.

Impossible pour les nageurs dans la piscine de s’observer dans le miroir et de vérifier leur synchronisation ou leur bonne position. Ils doivent se fier au coach. Les sportifs apprennent les figures en étant guidés par leurs sensations, pas par la vision.

« La plus grosse différence, à laquelle je ne m’attendais pas, c’est le manque de souplesse des garçons », confie Marion Tomiello, la coach du Paris aquatique. Cette ex-nageuse, qui regrette qu’il y ait peu de garçons dans les équipes jeunes, considère que les hommes ont beaucoup à apporter à la discipline. Ils poussent plus fort pour des portés plus spectaculaires. « La mixité permet aussi de jouer davantage sur le côté couple dans les chorégraphies, comme on peut voir en danse », affirme-t-elle. En équipe ou en duo de nageuses, l’accent est souvent mis sur la synchronisation parfaite des mouvements entre participantes. Avec le duo mixte, les chorégraphes travaillent plutôt en miroir, comme au patinage artistique.

Avec ces Gay Games, le club saisit une opportunité de montrer son sport au grand public, avec des équipes de plusieurs pays, et peut-être de susciter des vocations. Le cinéma est un autre moyen de promouvoir cette discipline. Les nageurs du Paris aquatique feront une apparition dans le prochain film de Gilles Lellouche, Le Grand Bain, qui met en scène une équipe masculine de natation synchronisée. Les Parisiens jouent les adversaires de la bande de Guillaume Canet. Un joli clin d’œil à ce club précurseur, qui rêve de voir un jour des hommes se jeter à l’eau non plus seulement aux Gay Games, mais bien aux Jeux olympiques.

Voir l’analyse du film « Le Grand Bain » : Gilles Lellouche s’offre son « Full Monty »