Editorial du « Monde ». L’on ignore si les Chinois lisent les contes de Perrault, le soir, à la veillée. Et s’ils se bercent du rêve de posséder l’âne magique du fabuliste, lequel, comme chacun s’en souvient, assurait la fortune de son souverain-propriétaire en produisant chaque matin son lot d’écus d’or en guise de crottin. Il est avéré, en revanche, qu’ils accordent le plus grand prix aux vertus supposées de la peau d’âne. Réduite en poudre, elle permet de produire l’ejiao, dont la médecine traditionnelle assure qu’il permet de combattre l’anémie, les effets du vieillissement ou les étiolements de la libido.

Pour garantir son approvisionnement et assurer à ses consommateurs la fourniture de quelque 5 000 tonnes annuelles de cet élixir de jouvence, l’empire du Milieu fait les choses en grand. Après avoir réduit de 11 millions à 5 millions de têtes son propre cheptel d’ânes entre 1990 et 2016, il est allé chercher sur d’autres continents la matière première indispensable.

Pour l’essentiel, en Afrique, où l’âne reste le meilleur ami de l’homme et l’indispensable auxiliaire du paysan. Voyant leurs troupeaux décimés, plusieurs pays – Niger, Burkina Faso ou Bostwana – ont interdit les exportations d’équidés vers la Chine. Comme le décrit le reportage publié aujourd’hui dans nos colonnes, le Kenya est l’un des derniers pays africains à n’avoir pas banni ce commerce. Avec des conséquences en chaîne : la population des ânes kényans a chuté de moitié entre 2008 et 2017, passant de 1,8 million en 2008 à 900 000 en 2017 ; le prix des ânes a doublé, rendant souvent leur achat inabordable pour les agriculteurs locaux ; enfin, faute de trouver assez d’animaux en vente légale, des réseaux de contrebande ont multiplié les vols d’ânes dans des proportions alarmantes.

Poudre de perlimpinpin

Au regard des enjeux économiques ou géopolitiques contemporains, cette affaire pourra sembler anecdotique, nonobstant le sort tragique des animaux domestiques ainsi transformés en poudre de perlimpinpin. Elle constitue pourtant une parabole très éclairante des relations exponentielles entre le géant chinois et l’eldorado africain. En 2000, le commerce sino-africain était estimé à 10 milliards de dollars par an. Il frôle aujourd’hui les 200 milliards – autant que l’Europe, les Etats-Unis et l’Inde réunis – et les investissements chinois en Afrique suivent une courbe similaire.

Pékin ne trouve pas seulement en Afrique les matières premières vitales pour le développement de son économie, pétrole angolais ou nigérian, cuivre ou cobalt congolais, uranium namibien, bauxite guinéenne, métaux rares de toutes sortes, sable indispensable à la cimenterie, bois précieux exportés par milliers de tonnes. La Chine a également fait de l’Afrique un marché de consommation prometteur pour ses industries manufacturières. En échange, elle finance à grande échelle – et sans grand souci de normes sociales ou environnementales – la construction de barrages, de ports, de chemins de fer, d’usines ou de logements. Difficile pour le Kenya, par exemple, de résister à un tel pactole, même au nom de la protection des ânes.

Ceux-ci pourront-ils être sauvés du désastre ? La Chine était devenue, ces deux dernières décennies, la première destination pour le trafic d’ivoire des éléphants d’Afrique, interdit par la communauté internationale depuis 1989. En 2015, soucieux de la réputation de l’empire du Milieu, le président Xi Jinping a banni ce commerce illégal. Peaux d’âne, un conte moderne vous dit-on.