Marc-Antoine Olivier dans les eaux du lac Balaton en Hongrie, en juillet 2017. / ATTILA KISBENEDEK / AFP

En 2008, aux championnats d’Europe d’eau libre à Dubrovnik (Croatie), la France ramenait une seule médaille (l’argent sur 25 km) dans une discipline encore confidentielle. Dix ans plus tard, elle se présente à Glasgow avec l’étiquette de favorite depuis sa razzia l’été dernier aux Mondiaux de Budapest – six médailles en sept épreuves, dont quatre titres.

Ces résultats historiques avaient atténué la désillusion en bassin, avec un bilan maigrichon (deux médailles). Le constat était irréfragable : orphelins des Laure Manaudou, Alain Bernard, Yannick Agnel, Camille Muffat, Amaury Leveaux et consorts, les nageurs français, après une dizaine d’années au sommet, ne faisaient plus partie du gratin mondial. Au moment où la natation course s’attelait au chantier de sa reconstruction, l’eau libre, au contraire, connaissait les prémices de son âge d’or.

Au point qu’aujourd’hui, la discipline est devenue une valeur sûre en termes de médailles pour le clan tricolore. Les quatre nageurs engagés en Ecosse (David Aubry, Logan Fontaine, Marc-Antoine Olivier et Axel Reymond) peuvent tous viser la victoire – malgré une préparation sévèrement perturbée par une blessure au biceps à la suite d’un contrôle antidopage mal exécuté pour Olivier. En l’absence d’Aurélie Muller, qui a décidé cette année de donner la priorité à ses études, Océane Cassignol, Adeline Furst, Lara Grangeon et Lisa Pou se présentent, elles, davantage en position d’outsider.

Première au classement des nations

Derrière cette réussite, deux hommes : Stéphane Lecat et Philippe Lucas, l’ex-mentor de Laure Manaudou. Le premier, patron de l’équipe de France depuis 2013, a multiplié depuis son arrivée les stages et les participations à des coupes du monde et coupes d’Europe. Le second entraîne le plus gros contingent de nageurs d’eau libre à Montpellier. Dans son groupe, Aurélie Muller, Marc-Antoine Olivier, Océane Cassignol, David Aubry, Joris Bouchaut et Lara Grangeon enquillent autour de 80 kilomètres par semaine. Pour Axel Reymond, champion du monde et d’Europe en titre sur 25 km (AAS Sarcelles Natation 95), le curseur dépasse les 100 kilomètres hebdomadaires. Et peut grimper jusqu’à 140 km.

Longtemps, la Russie, l’Allemagne ou encore l’Italie ont compté parmi les nations les plus denses en eau libre, quand la France balbutiait encore dans la discipline. Les résultats des nageurs français dans les eaux du lac Balaton il y a un an leur ont valu la première place du classement mondial. Ils sont désormais surveillés de très près par la concurrence.

Ce qui n’inquiète pas plus que ça Stéphane Lecat, directeur de la discipline à la Fédération française de natation (FFN) : « En fait, on ne parle pas de ça, ils ne se disent pas : “On est très attendu, les gens vont vouloir qu’on fasse la même chose qu’à Budapest, etc”. Je n’ai pas beaucoup d’efforts à faire pour les maintenir dans leur bulle, ils sont vraiment très concentrés et professionnels, balaie l’ex-spécialiste du 25 km, triple médaillé européen. A Glasgow, ils sont dans un état d’esprit conquérant. La moyenne d’âge est de 22 ans mais ils ont déjà pas mal d’expérience et dégagent beaucoup de sérénité. »

Marc-Antoine Olivier, Logan Fontaine, Aurélie Muller and Océane Cassignol, après leur victoire sur le 5 km par équipes en juillet 2017 en Hongrie. / ATTILA KISBENEDEK / AFP

Dans l’imaginaire collectif, la discipline requiert à la fois expérience et maturité. Mais force est de constater que la jeunesse n’est plus une faiblesse pour briller au plus haut niveau : Marc-Antoine Olivier venait de fêter ses 20 ans au moment de sa médaille de bronze aux Jeux de Rio. Logan Fontaine (Vikings de Rouen), médaillé du 5 km par équipe aux Mondiaux en Hongrie en 2017, n’avait alors que 18 ans.

Le « business » des combinaisons

Comme la natation course lors de ses années fastes, l’eau libre dispose de figures emblématiques qui tirent la discipline vers le haut. « L’image des champions comme Aurélie et Marc-Antoine a donné envie à des plus jeunes de rejoindre et de briller dans cette équipe, atteste Stéphane Lecat, qui situe le tournant à 2014, quand Axel Reymond s’offre son premier titre de champion d’Europe du 25 km. L’état d’esprit de ce groupe, qui ne se prend pas trop la tête, plaît bien, et c’est une discipline dans l’air du temps, dans un milieu ouvert, ça attire aussi. » « C’est un levier magnifique pour la natation. Dans un contexte où l’écologie prend une place prégnante, l’eau libre peut porter toutes ces valeurs », renchérit Julien Issoulié, le directeur technique national.

Au Loch Lomond, à une trentaine de kilomètres au nord de Glasgow, reste une variable que les nageurs ne maîtriseront pas : la température de l’eau (la plus basse possible pour une compétition est de 16 degrés). Depuis le 1er janvier 2017, la Fédération internationale a établi un nouveau règlement concernant le port des combinaisons en néoprène. Entre 16 °C et 17,9 °C, elles sont obligatoires ; optionnelles entre 18 °C et 19,9 °C – et interdites au-dessus de 20 °C. « Ça peut être une vraie difficulté pour nous car nos nageurs ne sont pas de grands nageurs de combis », relève Julien Issoulié. Les Français sont plutôt légers et techniques, or les combinaisons sont censées favoriser des nageurs plus physiques et moins forts techniquement.

« C’est que du business », pestait Philippe Lucas auprès de France 3 Occitanie il y a quelques jours. « On part un peu dans l’inconnu avec cette règle, concède Stéphane Lecat. Les rares problèmes médicaux observés en course, c’était avec des températures élevées, avec une eau à plus de 30 °C, donc je ne comprends pas ce choix. Quand je nageais, la température minimum était de 13 °C, on était en maillot de bain et on n’avait aucun problème. »

Pour parer à cette éventualité, l’équipe de France est partie en juillet en stage à Font-Romeu (Pyrénées-Orientales) s’entraîner en combinaisons dans les eaux du lac de Matemale, perché à 1 500 m. Stéphane Lecat reste prudent et préfère ne pas s’avancer sur le nombre de médailles visé par ses nageurs. Mais il sait manier la litote : « Oui, normalement on aura des émotions. »

La délégation française d’eau libre compte dans ses rangs quatre nageuses (Océane Cassignol, Adeline Furst, Lara Grangeon et Lisa Pou) et quatre nageurs (David Aubry, Logan Fontaine, Marc-Antoine Olivier et Axel Reymond). Mercredi : 5 km dames (10 h 30) et messieurs (11 heures) ; jeudi : 10 km dames (10 h 30) et messieurs (11 heures) ; samedi : 5 km par équipes (midi) ; dimanche : 25 km dames et messieurs (10 heures).