A la prison de Fleury-Merogis, le 29 octobre 2015. / ERIC FEFERBERG / AFP

Editorial du « Monde ». Au 1er juillet, 70 710 personnes étaient détenues dans les prisons françaises, un record historique depuis la Libération. C’est 48 % de plus qu’en 2001, et cette croissance est sans rapport avec la démographie ou l’évolution de la délinquance. Malgré le « laxisme » dont nombre de responsables politiques taxent volontiers les juges, jamais la justice n’a été aussi sévère.

Cette inflation carcérale tranche avec certains de nos grands voisins européens, qui ont entrepris une politique volontariste de réduction du nombre de personnes derrière les barreaux, comme en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Italie. Surtout, elle provoque des conditions de détention indignes, et incompatibles avec les objectifs de réinsertion assignés à l’administration pénitentiaire. 60 % des détenus sont aujourd’hui dans une prison occupée à plus de 120 % de ses capacités, et 30 % d’entre eux s’entassent dans des établissements où la densité dépasse les 150 %.

En janvier, alors que les prisons étaient secouées par un mouvement de protestation des surveillants sans précédent depuis vingt-cinq ans, les Français semblaient avoir eu de l’empathie pour les conditions de travail de cette profession ignorée, dont le quotidien est directement affecté par la surpopulation carcérale. Et puis l’oubli est revenu.

Solution de facilité

Le 6 mars, Emmanuel Macron dévoilait, dans un important discours, à Agen, une vision humaniste de la justice et de la prison. En limitant le recours aux courtes peines et rendant automatique l’incarcération pour les sanctions supérieures à douze mois ferme, le président de la République souhaitait améliorer la lisibilité de la justice. Et, en développant les alternatives à la prison, il voulait améliorer le sens et l’efficacité des peines. Pour finir, il annonçait une nouvelle politique judiciaire, qui ferait « sortir de prison plusieurs milliers de personnes pour qui la prison est inutile, voire contre-productive ». Sur le terrain, c’est l’inverse qui s’est produit.

La maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, dans l’Essonne, la plus grande prison d’Europe, est secouée depuis le début de l’année par une série de suicides – onze détenus en sept mois, soit davantage que pour les années 2016 et 2017 cumulées. On se suicide sept fois plus en prison que dans un milieu libre. Et que faisaient en prison ce jeune homme de 25 ans, incarcéré pour trois mois pour « voyage habituel sans titre de transport », ou ce père de famille condamné à deux mois pour « conduite sans assurance » ? La mort qu’ils ont choisi de se donner ne peut sans doute pas s’expliquer de façon simpliste, mais en quoi la prison pouvait-elle être une réponse adaptée ?

La prison est une réponse pauvre à des situations complexes et, souvent, une solution de facilité. Face à des citoyens qui demandent légitimement de la sécurité, les gouvernements répondent par des signaux sécuritaires à défaut de pouvoir leur garantir une vraie sécurité.

M. Macron n’échappe pas à cette ambiguïté. Il annonce vouloir construire 7 000 places de prison d’ici à la fin du quinquennat, tout en préparant une réforme de la justice pénale qui table sur une réduction de 8 000 du nombre de détenus. Certains s’alarment au contraire des risques de voir cette réforme provoquer une augmentation de la population carcérale de plusieurs milliers de personnes en cinq ans. Un débat purement théorique, alors que la loi de programmation de la justice ne devrait pas être votée avant le premier trimestre 2019. En attendant, rien ne change dans les prisons. Qui restent « une humiliation pour la République », comme l’écrivait le Sénat en… juin 2000.