Chronique. Cette fois c’est au Zimbabwe : une élection organisée, son résultat contesté, des militants molestés et tués. Evidemment, la question qui est posée est toujours la même : comment faire en sorte que des élections consensuelles soient la norme et non plus l’exception en Afrique ?

La communauté internationale privilégie le recours à des observateurs extérieurs. Leur présence augmente certainement le coût de la fraude, mais elle ne l’empêche pas. En outre, les fréquentes accusations d’ingérence ou de favoritisme fragilisent un mécanisme dont l’efficacité repose avant tout sur sa légitimité. Mais la critique la plus forte contre le système des observateurs est philosophique : l’idée qui sous-tend ce système est que des changements politiques fondamentaux peuvent être impulsés de l’extérieur. Il n’en est rien selon moi.

L’article 149.2 du Code électoral camerounais, qui traite du découpage électoral, stipule ceci : « Compte tenu de leur situation particulière, certaines circonscriptions peuvent faire l’objet d’un découpage spécial par décret du Président de la République. » Dans un rapport publié en 2012, au moment de l’adoption de ce Code électoral, une ONG basée au Cameroun a parlé de « fraude légale » pour qualifier cet article et d’autres du même type.

« Fraudes légales »

Ces « fraudes légales » sont un des nombreux mécanismes de fraude qui empoisonnent les processus électoraux dans nos pays et dont seuls les citoyens peuvent venir à bout. Pourtant, de manière générale et malgré des sursauts ponctuels, les sociétés civiles africaines se mobilisent rarement sur ces questions fondamentales. Pourquoi ?

Une des raisons tient aux partis politiques, qui, pour toutes sortes de mauvaises raisons, n’accordent pas à ces questions l’importance qu’ils devraient. Résultat : les populations comprennent peu les vrais enjeux. La pauvreté et la faiblesse de l’éducation des masses sont une autre raison. Mais il y en a une troisième.

Les 30 et 31 juillet, le Forum sur l’administration fiscale africaine, une organisation panafricaine créée en 2008 pour promouvoir et faciliter la coopération entre les administrations fiscales, s’est réuni à Kigali. Peu de médias ont couvert cette rencontre. Pourtant, la question de la taxation est au cœur du développement et de la démocratisation des pays africains.

Droit de regard

La plupart d’entre nous comprenons, même vaguement, que sans recettes fiscales, nos Etats sont dépourvus des ressources nécessaires au financement de nos services publics et de nos économies. Mais le lien entre taxation et démocratie, comprise comme la mobilisation constante de citoyens pour surveiller l’action du gouvernement, est incompris.

Or les Etats « démocratiques » modernes sont nés du compromis négocié entre des Etats qui avaient besoin de ressources pour leur fonctionnement et leur pérennité et des citoyens qui acceptèrent de fournir ce financement en contrepartie d’un droit de regard sur les affaires publiques.

La taxation a d’importantes vertus mobilisatrices. L’exemple de la taxe de 0,05 dollar sur l’utilisation des réseaux sociaux et sur les transactions financières par téléphone récemment imposée par le gouvernement ougandais est à cet égard éloquent : son annonce a suscité un tollé et des manifestations. Sans surprise, le gouvernement a annoncé il y a quelques semaines que le Parlement se pencherait sur cette taxe impopulaire. Toutes choses égales par ailleurs, des citoyens taxés sont des citoyens (plus) engagés.

Réduire l’aide

Selon la Banque mondiale, les recettes fiscales représentent environ 17 % du PIB des Etats africains, contre 35 % pour les pays de l’OCDE. Dans tous les cas, c’est insuffisant pour espérer avoir des sociétés civiles pleinement conscientes et engagées dans le combat pour la démocratie. Nos gouvernants sont souvent insensibles à nos préoccupations parce qu’ils vivent davantage des aides (ou des ressources naturelles) que de nos contributions.

Sur le long terme, les intérêts des sociétés civiles africaines et des partenaires internationaux des Etats africains convergent : nous avons besoin d’une Afrique stable et prospère. Pour cela, la voix des peuples doit être entendue et les processus électoraux doivent être crédibles. Seuls les peuples peuvent réussir ce défi. Mais la communauté internationale a évidemment un rôle à jouer.

A court terme, améliorer l’organisation du système des observateurs électoraux serait un premier pas. Soutenir l’éducation serait aussi utile. Mais il faut être plus ambitieux et réduire significativement l’enveloppe d’aide accordée à l’Afrique. Cela bénéficierait au contribuable occidental et, à terme, cela renforcerait la position du citoyen africain. La démocratie électorale africaine ne s’en porterait que mieux.

Yann Gwet est un essayiste camerounais.