Thierry Vircoulon est chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Spécialiste de l’Afrique, il est un observateur de longue date de la scène politique congolaise. La décision de Joseph Kabila de se conformer à la Constitution en ne sollicitant pas un troisième mandat ne lève pas, selon lui, tous les doutes sur la tenue du scrutin prévu le 23 décembre. Il rappelle que si l’alternance politique est une des conditions pour un changement de gouvernance en République démocratique du Congo (RDC), elle est loin d’être suffisante : les principaux leaders de l’opposition sont issus de la même matrice du pouvoir que Joseph Kabila et peu de Congolais attendent un véritable changement de ces élections.

Le retrait de Joseph Kabila est loin de lever les doutes sur la tenue du scrutin présidentiel prévu le 23 décembre. Pourquoi ?

Thierry Vircoulon Indépendamment du départ de Joseph Kabila, qui était une condition posée par l’opposition, le processus électoral est mal engagé pour garantir un scrutin transparent et crédible. L’opposition a déjà mis en avant un certain nombre de points très concrets, comme l’utilisation de machines à voter qu’elle qualifie de « machines à tricher » ou le manque d’indépendance de la commission électorale chargée de superviser les opérations.

Le financement est aussi problématique. Le gouvernement souhaite en supporter le coût, estimé à plus de 1 milliard de dollars, sans en avoir les moyens. Le risque est donc d’organiser un scrutin au rabais ou de devoir à nouveau le reporter, comme cela a été décidé à plusieurs reprises depuis l’expiration du deuxième mandat de M. Kabila, en décembre 2016.

En désignant Emmanuel Ramazani Shadary comme « dauphin » pour représenter la majorité, vous dites que Joseph Kabila a choisi un perdant incapable de gagner les élections. C’est surprenant…

Ramazani Shadary fait partie de la vieille garde proche du président, mais il a peu d’assise électorale. Personne ne votera pour lui et c’est une autre raison pour laquelle la majorité n’a pas intérêt à la tenue des élections. C’est selon moi le message essentiel de Kabila : « vous voulez des élections, mais si je pars vous partirez avec moi, car Ramazani est une défaite annoncée ». Si par le plus grand des hasards il devait l’emporter, l’ampleur de la fraude n’en serait que plus évidente. Cette situation doit aussi faire réfléchir sur cette norme électorale voulue par les Occidentaux. Elle est devenue un rituel sans apporter le changement attendu.

Les principales figures de l’opposition disent vouloir se rassembler derrière un seul candidat. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est possible, car ils y ont intérêt dans le cadre d’un scrutin qui se joue à un tour. Mais cela n’ouvre pas la perspective d’une vraie alternance pour les Congolais. Il faut se rappeler que Jean-Pierre Bemba ou Moïse Katumbi sont issus de la même matrice du pouvoir que Joseph Kabila. La RDC est un pays de rente des matières premières et le pouvoir se convoite uniquement pour être en situation de continuer à piller.

Moïse Katumbi n’a pas pu déposer sa candidature, Felix Tshisekedi et Vital Kamerhe me semblent avoir très peu de chances. Seul Jean-Pierre Bemba soulève les foules, comme il l’a démontré lors de son retour à Kinshasa après dix années d’exil et d’emprisonnement à la Cour pénale internationale. Et c’est ce qui est misérable. Il y a des Congolais qui, pour voir partir Kabila, sont capables de donner leur voix à celui qui a fait tirer sur la population de Kinshasa à coup de canons en 2006.

Voilà l’image du désespoir de cette population qui n’a aucune alternative politique réelle vers laquelle se tourner. L’histoire du Congo tourne en rond, comme dans les autres pays d’Afrique centrale.