Ils ne font pas la « une » des journaux, ne sont pas reconnus dans la rue quand bien même ils arborent plusieurs médailles autour du cou. Là n’est pas leur destin, et ils s’en moquent bien. Depuis le 4 août, Paris accueille la 10e édition des Gay Games et plus de 10 000 athlètes. Au bord de la piscine Georges-Vallerey, dans le 20e arrondissement, et de la piste d’athlétisme du stade Charléty, Le Monde a rencontré quatre d’entre eux dont le parcours et la motivation racontent la raison d’être de ces Jeux pas comme les autres.

  • Jean-Pierre Grasland, icône française de l’athlétisme LGBT

Jean-Pierre Grosland, quelques minutes après son 100 m sur la piste de Charléty, mercredi 8 août.

Il est sollicité de toutes parts, doit courir un peu partout pour tout surveiller. Pas facile de l’attraper au vol pour parler quelques minutes. Jean-Pierre Grasland, 55 ans, n’est pas membre du comité d’organisation des Gay Games, mais, à bien y regarder, il est une personnalité indispensable au bon déroulement des épreuves d’athlétisme.

« Il m’arrive souvent d’expliquer les règles des courses aux participants, de positionner les coureurs, de trouver des remplaçants… Et en cas de soucis, je suis tenu pour responsable », remarque cet athlète touche-à-tout. Il n’y a pas une épreuve d’athlétisme à laquelle cet habitué des Gay Games ne s’est pas essayé dans sa carrière. Dans la chaleur du stade Charléty, le Français participe à ses sixièmes Jeux de la diversité. Il n’a pas loupé la moindre édition depuis 1998.

Homosexuel, il sait que les compétitions LGBT représentent un cadre accueillant pour lui, et pas seulement en raison de son orientation sexuelle. « Dans les championnats régionaux ou les compétitions dites classiques, il est très rare qu’un homme de mon âge ait sa place. Passé 35 ans, il est difficile de s’intégrer, concède-t-il. Durant les Gay Games, et plus globalement à chaque compétition LGBT, je peux courir un 100 m, sauter des haies puis aller lancer le poids sans que l’on me prenne pour un fou. »

Déterminé sur la piste, Jean-Pierre Grasland consacre son énergie en dehors à soutenir d’autres athlètes confrontés aux obstacles de la vie. « J’ai inscrit aux Gay Games des coureurs homosexuels sans papiers qui vivent des moments très difficiles. J’ai une responsabilité envers eux. Et cela dépasse le cadre de l’athlétisme. Je deviens une personne impliquée dans leur combat. » Une discrète émotion se lit alors sur son visage.

  • Joseph Parks, un Américain militant à Paris

Joseph Parks note avec rigueur les performances de ses nageurs.

Pour le premier séjour de sa vie à Paris, Jospeh Parks n’a pas fait les choses à moitié. Le New-Yorkais s’est rendu dans la Ville Lumière avec une délégation de 97 athlètes. Il en est d’ailleurs le chef, même s’il préfère ne pas en revendiquer la fonction.

Engagé lui-même dans les épreuves de natation, l’entraîneur professionnel qu’il est aux Etats-Unis est aussi chargé de superviser les équipes new-yorkaises de water-polo et de natation synchronisée qui se produisent à Paris. Pour sa première participation aux Gay Games, le jeune homme homosexuel est ravi. « Je n’ai jamais vu une compétition de natation aussi bien organisée que celle-ci, salue-t-il. Les programmes horaires sont respectés et les infrastructures sont d’une grande qualité. C’est une fête permanente. »

Participer à ces Jeux est pour lui un moment particulier, tant il milite avec force pour la reconnaissance de la diversité au sein de la communauté homosexuelle. « Les Gay Games sont la preuve qu’il n’y a pas qu’une façon d’être homosexuel, mais qu’il existe bien une grande diversité de profils et de façon de vivre son homosexualité. »

Sur son tee-shirt sans manches s’affiche en lettres orange les initiales de son équipe, la TNYA (Team New York Aquatics). Un club de New York qui a été spécialement créé pour des Gay Games. C’était en 1990 à l’occasion de la troisième édition à Vancouver. Depuis, la TNYA a grandi et est connue pour faire briller ses membres lors des championnats LGBT. Une réputation de performance à laquelle Joseph Parks tient beaucoup. « Il est crucial que la communauté LGBT ait une visibilité sportive mondiale, qu’elle montre qu’elle possède d’excellents nageurs, de grands sportifs », dit le trentenaire aux cheveux peroxydés.

S’exprimant avec passion sur ce sujet, il n’est coupé que par le message du speaker demandant aux nageurs de se rendre tout de suite en chambre d’appel. Joseph Parks s’excuse. Il est temps pour lui de se jeter à l’eau.

  • Diakmomar Diop, la course ou la vie

L'équipe du relais de l'association Ardhis. De gauche à droite, Joanitta Sunday (Nigeria), Diakmomar Diop (Sénégal), Mamadou Baldé (Guinée-Bissau) et Hamidou Diallo (Guinée).

Il a fui le Sénégal, où il n’était plus en sécurité. Diakmomar Diop a été recueilli par Ardhis, une association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles à l’immigration et au séjour. A Paris, il participe cette année à ses premiers Gay Games. Et avec une mission. Actuellement sans papiers, il compte sur ces Jeux pour donner une visibilité à son combat et à celui de ses camarades d’Ardhis.

« J’ai vécu des moments difficiles du fait d’être homosexuel au Sénégal. Aujourd’hui en France, je me sens bien. Mais le combat administratif est long et fatigant, raconte Diakmomar Diop. Grâce aux Jeux, mes camarades et moi rencontrons des personnes qui nous écoutent. Certains d’entre nous ne peuvent même plus parler à leur famille, alors ces moments de fraternité nous redonnent de l’espoir. »

A 25 ans, il se bat aux côtés de l’association pour faire reconnaître son statut de réfugié persécuté à cause de son orientation sexuelle. « L’association nous a expliqué ce qu’étaient les Gay Games, le principe, le déroulement, car bien sûr aucun de nous ne connaissait cette compétition, explique-t-il. Le principe nous a beaucoup plu, et nous avons été inscrits pour participer au relais tous ensemble. »

Passé par la Libye et l’Italie, Diakmonar Diop a connu des courses solitaires, des nuits à la rue, sans relais humain pour l’aider. « C’est une récompense d’être ici aujourd’hui, même si le combat ne s’arrêtera que le jour où j’aurai mes papiers. Et alors je pourrai aller à Hongkong pour les prochains Gay Games. » Le jeune homme arrive aujourd’hui à payer seul son loyer avec son salaire de livreur. Sa vie est un encore un marathon, mais il a maintenant trouvé des camarades pour courir avec lui.

  • Isabelle Booklage, le goût retrouvé de la compétition

Les médailles s'accumulent autour du cou d'Isabelle Booklage, coach du club Paris Aquatique.

Assise en tailleur dans les tribunes en bois de la piscine Georges-Vallerey, Isabelle Booklage scrute les courses des vingt nageurs français qu’elle entraîne depuis plusieurs mois en vue de la participation aux Gay Games. « Durant cette compétition, j’ai la double casquette de nageuse et coach de l’équipe du club LGBT Paris aquatique, qui organise d’ailleurs les épreuves de natation de ces Jeux. C’est une nouvelle aventure pour moi », détaille-t-elle en arborant fièrement un survêtement spécialement conçu pour l’occasion.

Maître-nageuse dans la vie et habituée à entraîner des enfants, cette femme énergique de 45 ans reconnaît que c’est le club LGBT et l’organisation des Gay Games à Paris qui lui ont donné envie de se mouiller à nouveau. « Je suis engagée dans cinq épreuves individuelles et dans trois relais, précise-t-elle. Je n’aurais pas recommencé les compétitions dans un club traditionnel. Les nageurs issus de la communauté LGBT envisagent différemment la performance. J’observe une grande solidarité dans l’eau, un profond respect envers son voisin de ligne d’eau. »

Isabelle Booklage avoue avoir trouvé une nouvelle famille en conseillant cette équipe, composée en majorité d’homosexuels, mais ouverte à tous. Déjà, elle envisage d’être du voyage lors des prochains Gay Games en 2022 à Hongkong. En attendant, elle garde précieusement les quatre médailles obtenues lors de ces Jeux parisiens. « Toutes en or ! », rigole-t-elle.