Vendredi 10 août, le ministre camerounais de la communication et porte-parole du gouvernement, Issa Tchiroma Bakary, a surpris la population en annonçant sur les antennes de la Cameroon Radio and Television (CRTV), la radio d’Etat, l’arrestation de sept militaires soupçonnés d’être impliqués dans l’exécution sommaire de deux femmes et leurs enfants, selon une vidéo diffusée sur Internet le 10 juillet. Ces mères étaient suspectées d’être des complices du groupe terroriste Boko Haram, qui poursuit ses attaques dans la région de l’Extrême-Nord, frontalière avec le Nigeria.

Les militaires, dont les noms ont été cités, ont été « mis à la disposition de la justice et feront l’objet d’un procès équitable », a souligné le ministre. « Il est bien entendu qu’ils bénéficient jusqu’alors de la présomption d’innocence », a ajouté Issa Tchiroma Bakary, tout en précisant que le chef de l’Etat, Paul Biya, réitérait sa « détermination à veiller à ce que les exactions qui peuvent être perpétrées par quelques soldats égarés fassent systématiquement l’objet d’enquêtes et aboutissent le cas échéant à des sanctions appropriées ».

Trois jours après cette annonce, la colère des Camerounais, encore hantés par les scènes insoutenables de la vidéo, n’a pas fléchi. Sur les réseaux sociaux, à la radio et sur les plateaux de télévision et de radio, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer le « mensonge du gouvernement ». Certaines réclament les démissions du colonel Didier Badjeck, responsable de la communication du ministère de la défense, et d’Issa Tchiroma Bakary, qui, au lendemain de la diffusion de cette vidéo, avaient dénoncé des « fake news » (fausses informations). Le ministre de la communication pointait une « manœuvre de désinformation grossière » et un « horrible trucage ».

« Mission kamikaze »

La colère a été alimentée par une autre vidéo, publiée début août, mettant également en scène des militaires affirmant aller en « mission kamikaze » sur ordre de Yaoundé. Une dizaine d’hommes non armés, allongés à même le sol, y sont abattus face à un mur près de maisons en flammes.

« Il s’agit là de nouvelles preuves crédibles appuyant les allégations selon lesquelles les forces armées camerounaises se seraient livrées à des exécutions extrajudiciaires contre des civils », a déclaré, dans un communiqué publié le 10 août, Ilaria Allegrozzi, chercheuse pour Amnesty International. Selon l’ONG, la scène se serait déroulée à Achigachia, un village situé à la frontière avec le Nigeria, et des outils d’analyse numérique de pointe permettent d’affirmer que les faits se seraient produits avant 2016.

Au Cameroun, une vidéo montre des femmes et des enfants exécutés par des hommes en tenue militaire
Durée : 01:18

« Ce sont probablement nos hommes, a assuré au Monde Afrique une source sécuritaire qui a requis l’anonymat. Au début de la lutte contre Boko Haram, beaucoup de jeunes qui n’avaient jamais été sur un champ de guerre ont vu mourir leurs camarades, tués froidement par Boko Haram. Désœuvrés, certains ont commis des actes discutables. Mais ce sont des cas très isolés. Notre armée est responsable et on n’entraîne pas les jeunes à tuer des innocents. Ils sont entraînés pour combattre les ennemis. »

Plus prudent, le ministre de la communication a annoncé cette fois l’ouverture d’une enquête. Il a toutefois rejeté l’accusation selon laquelle il s’agit de soldats camerounais, et ce « tant qu’on n’aura pas établi de manière incontestable l’origine et l’appartenance des soldats qui auraient perpétré ces exécutions sommaires ».