Dewayne Johnson, après l’annonce du jugement contre Monsanto, à la Cour supérieure de Californie, le 10 août. / Josh Edelson / AP

Editorial du « Monde ». La justice est passée. Le 10 août, à San Francisco, Monsanto a perdu son procès devant un tribunal de l’Etat de Californie. La firme américaine a été condamnée à verser près de 290 millions de dollars (254 millions d’euros) d’indemnités à Dewayne « Lee » Johnson, un jardinier atteint d’un cancer qu’il attribue au glyphosate, la substance active du Roundup, l’herbicide le plus vendu au monde. Ce jugement, le premier à associer exposition au glyphosate et cancer, est historique. Il pèsera à l’évidence sur la prochaine réévaluation de la substance en Europe, prévue pour 2022.

Les tribunaux ne disent certes pas la science, mais en l’espèce ce sont les documents internes de la firme, les fameux « Monsanto Papers » et leurs lourds aveux, qui ont emporté la décision des jurés. Oui, disent les jurés dans leur jugement, le produit phare de Monsanto est dangereux. Et oui, ajoutent-ils, le géant de l’agrochimie connaissait les risques, « à la lumière des connaissances scientifiques disponibles ». Le groupe allemand Bayer, propriétaire de la firme américaine depuis le 7 juin – acquise pour 63 milliards de dollars – conteste avec vigueur la décision. « Le glyphosate est sûr et non cancérogène », a-t-elle répété.

Des milliers d’autres plaignants

La firme a bien entendu annoncé son intention de faire appel. Mais des milliers d’autres plaignants poursuivent le géant agrochimique. Un autre procès, devant une juridiction fédérale celui-ci, rassemble plus de 350 plaignants et le juge chargé de l’affaire a donné son feu vert aux poursuites, le 10 juillet, estimant que les experts entendus avaient fourni des éléments de preuve suffisants « pour qu’un jury raisonnable puisse conclure que le glyphosate peut causer un lymphome non hodgkinien à des doses d’exposition rencontrées chez les humains ». En Europe et en France, où deux actions sont en cours contre la firme, le jugement californien pourrait faire des émules et mettre plus encore le glyphosate en difficulté.

A la différence des Etats-Unis, où l’affaire n’a guère mobilisé les médias, elle a suscité sur le Vieux Continent une avalanche de réactions. A peu près toutes hostiles au géant agrochimique, la palme de la virulence revenant au ministre français de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, qui a qualifié la société d’« ignoble » dans un entretien à Libération et a appelé à mener la « guerre contre les pesticides »

La force de ces propos est un cache-misère, qui signale surtout l’impuissance des pouvoirs publics sur ce dossier. Le glyphosate n’est pas le pire des poisons, comme on l’affirme souvent, et de nombreux autres pesticides sont bien plus problématiques. Mais il est le plus utilisé au monde, il est omniprésent et est devenu, en deux décennies, la pierre angulaire d’une agriculture productiviste qui demeure – malgré des dégâts toujours plus visibles et toujours mieux documentés – largement intouchable. La puissance de ses lobbys mine la confiance et abîme la démocratie.

Bien sûr, Emmanuel Macron en personne a annoncé que la France se passerait de l’herbicide en 2021 « dans ses principaux usages »… Mais, sans préjuger de la volonté présidentielle, il faudra juger sur pièces, d’autant que l’engagement n’a pas été inscrit dans la loi. Souvenons-nous du Grenelle de l’environnement. C’était il y a dix ans. Une réduction de 50 % du recours aux pesticides avait été promise en une décennie. Une décennie a passé : l’usage des phytos n’a pas chuté. Il a crû de plus de 20 %.

En quoi le glyphosate pose-t-il problème ?
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