Yollande Randrianambinina recoud un filet de pêche à la lumière d’une lampe fonctionnant grâce à l’énergie photovoltaïque, le 23 avril à Ambakivao. / LAURE FILLON / AFP

Elle a apporté la lumière, et même beaucoup plus. « Grâce à mon diplôme de “femme ingénieure solaire”, il y a désormais de l’électricité dans mon village et il peut ainsi se développer économiquement, se félicite Yollande Randrianambinina. C’est une grande fierté pour moi et pour les habitants. »

Agée de 53 ans, cette femme de pêcheur d’Ambakivao, un village de la côte occidentale de Madagascar composé d’environ 200 foyers, a été formée en Inde pendant six mois avec trois amies, grands-mères comme elle. Depuis qu’elles sont rentrées en mars 2017 dans leur hameau implanté près de l’embouchure du fleuve Tsiribihina, les expertes assurent la maintenance des systèmes solaires photovoltaïques. Dans une maison communautaire, qui fut le premier bâtiment électrifié du village, Yollande teste aujourd’hui un banc de batterie pendant que Hanitra Andrianasolo, 38 ans, resserre les vis d’un panneau solaire.

Tout a commencé en 2016 lors d’une réunion organisée par le Fonds mondial pour la nature (WWF) où, au terme d’une discussion avec les villageois, la lumière est arrivée en tête des besoins les plus criants. Ambakivao n’était pas un cas particulier sur la Grande Ile puisque 84 % de la population n’a pas accès à l’électricité, et même 95 % en milieu rural.

Un « engagement fort »

En tant que village isolé et très difficile d’accès, le village de Yollande n’avait quasiment aucune chance d’être sélectionné parmi les programmes gouvernementaux de l’Agence de développement de l’électrification rurale.

« Il a été choisi parce qu’il y a une bonne cohésion entre les habitants et que nous avons senti un engagement fort autour du projet, assure Prisca Zandry, organisatrice au niveau social du WWF dans la région du Manambolo-Tsiribihina. Les mamies, quant à elles, ont été sélectionnées selon différents critères, comme le fait de ne pas être l’épouse d’une personnalité du village ou de ne pas avoir d’enfants à allaiter. Motivées par le projet, ces femmes, qui n’ont pas fait d’études pour la plupart, devaient également recevoir l’approbation de leur famille. »

« Le professeur nous expliquait comment monter, installer ou réparer les systèmes solaires par des gestes », Yollande Randrianambinina

Rassembler les documents administratifs nécessaires au voyage (extrait d’acte de naissance de moins de six mois, lettre d’autorisation des autorités locales…) a parfois ressemblé à un parcours du combattant. Mais, mi-septembre 2016, après une séance de bénédiction organisée par les autorités locales, elles ont pris l’avion pour la première fois de leur vie : destination Tilonia, au sud-ouest de New Delhi.

Leur formation au Barefoot College (« l’université des pieds nus »), une ONG indienne qui vise à soutenir les communautés rurales défavorisées en développant des services de base pour les rendre autonomes, s’est déroulée selon un cursus précis et en association avec le WWF. « On communiquait avec d’autres femmes venues d’Afrique ou d’Amérique du Sud par des gestes et quelques mots d’anglais, se souvient Yollande Randrianambinina. Pendant la formation, on a appris à identifier les composants électroniques par leur forme et leur couleur. Le professeur nous expliquait ensuite comment monter, installer ou réparer les systèmes solaires par des gestes. »

« Je suis métamorphosée »

Aujourd’hui, les « mamies électricité » d’Ambakivao savent monter et démonter toutes les parties qui composent les systèmes solaires. Elles savent aussi faire les soudures. Lors de leur séjour au Rajahstan, au cours duquel elles ont perçu une indemnité destinée à compenser un éventuel manque à gagner dans leur village, elles ont également suivi des cours de couture, d’autres pour apprendre à fabriquer des craies ou des bougies.

Trois « mamies électricité » vérifient les systèmes fonctionnant grâce à l’énergie photovoltaïque, le 23 avril à Ambakivao. / LAURE FILLON / AFP

De retour à Ambakivao, les grands-mères ont eu droit à tous les honneurs. Le fait d’avoir pris l’avion pour traverser l’océan, d’avoir découvert un autre pays, une nouvelle culture, leur a donné une dimension qu’elle ne soupçonnait pas.

« Je suis métamorphosée, explique Yollande Randrianambinina. Maîtriser un savoir-faire utile pour ma communauté me donne un statut important et le regard qu’avaient les gens sur moi a vraiment changé. » « Je suis fière de ce que je suis devenue, se félicite Remeza, une autre grand-mère ayant arrêté l’école en primaire. Avant d’aller en Inde, je croyais que seuls les hommes étaient destinés à avoir du travail et pouvaient avoir du talent. »

Sous forme d’association, un comité de gestion a été créé pour définir les règles d’utilisation des systèmes solaires et la gestion des fonds dans cette région économiquement faible, où le revenu mensuel moyen avoisine 300 000 ariarys (76 euros).

En fonction des besoins, trois niveaux d’abonnement à l’énergie solaire sont proposés : pour un coût de 3 000 ariarys (0,77 euro) par mois, une batterie de 12 V et 7 Ah (ampères-heures) permet d’allumer une lanterne solaire portable et de recharger un téléphone portable ; pour 6 000 ariarys (1,54 euro) par mois , un système solaire domestique fonctionnant avec une batterie de 12 V et 40 Ah éclaire quatre ampoules et recharge trois téléphones portables ; pour 10 000 ariarys (2,57 euros) par mois, enfin, il est possible d’acquérir une solution qui associe les deux systèmes.

Economies sur l’achat de bougies

L’arrivée de l’énergie solaire a changé la vie des habitants. Sur le plan financier, et même si l’on déplore plusieurs cas d’impayés, ils ont économisé sur l’achat quotidien de bougies. « On n’utilise plus non plus les lampes à huile, dont les émanations sont dangereuses pour les bébés, explique Yollande Randrianambinina. Grâce à la fée électricité, on peut aussi cuisiner ou réparer les filets de pêche tard dans la nuit. »

Le village, dans lequel une attaque de bandits a fait deux morts en 2013, vit aujourd’hui dans une certaine quiétude, même s’il reste surveillé en permanence par trois militaires armés.

« La formation des grands-mères à l’énergie solaire est utile car elle permet à des femmes de jouer un rôle majeur dans des villages très isolés, indique Tiana Ramahaleo, responsable au sein de WWF Madagascar. Un centre de formation va ouvrir à Madagascar en février 2019, il accueillera des mamies comoriennes, kényanes, tanzaniennes… Nous espérons former près de 740 femmes d’ici à 2030. »

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