A l’aéroport d’Orly, en avril 2018. / Gonzalo Fuentes / REUTERS

Editorial du « Monde ». Les mythes ont la vie dure ! Son nom même, ainsi que son logo tricolore fièrement arboré sur l’empennage de ses avions continuent à entretenir l’idée qu’Air France est une compagnie nationale dont le sort dépendrait de l’Etat. Ainsi, quand ils se retrouvent coincés par des grèves dans les aéroports, bien des passagers n’ont qu’une question, rageuse, à la bouche : mais que font les pouvoirs publics ?

De même, les pilotes veulent croire que jamais l’Etat ne « laissera tomber Air France » en cas de crise. Ils n’hésitent donc pas à court-circuiter leur direction et à en appeler au gouvernement, voire au président de la République, lorsqu’une négociation salariale est dans l’impasse ou lorsqu’il s’agit de choisir un patron de l’entreprise, comme c’est le cas aujourd’hui, trois mois et demi après la démission de Jean-Marc Janaillac, au lendemain d’un référendum interne sur un accord salarial rejeté par les personnels. Ainsi, à peine la candidature d’un patron canadien a-t-elle été évoquée au début du mois que le Syndicat national des pilotes de ligne demandait carrément à Emmanuel Macron de « sommer le conseil d’administration de faire un travail impartial, de reconsidérer l’ensemble des candidatures » et de privilégier le choix d’un patron français.

Cette attitude doit beaucoup à l’ambiguïté des gouvernements successifs. Certes, ces derniers martèlent volontiers que l’Etat ne détient plus que 14,3 % du capital de l’entreprise et qu’il s’agit d’un groupe privé qui pourrait disparaître comme, avant lui, les fleurons « nationaux » PanAm, TWA, Swissair ou Sabena. Mais la tentation – politique autant que technocratique – d’intervenir reste grande.

Crise de gouvernance

Ce fut le cas à la mi-juillet, lorsque Bruno Le Maire a brutalement écarté la candidature de Philippe Capron envisagée par le conseil d’administration du groupe. Au micro de RTL, le ministre de l’économie mit fin aux ambitions du directeur financier de Veolia : « C’est un candidat parmi d’autres (…). Il fait partie des candidats possibles, mais il n’est pas le seul. »

Il va sans dire que cette attitude ne permet guère de sortir de la crise de gouvernance, voire de stratégie, où Air France est englué. Depuis l’entrée en Bourse de la compagnie en 1999, et surtout depuis le rachat de KLM en 2004, l’hypothèse d’un désengagement de l’Etat est régulièrement évoquée. Elle est revenue cet été avec la proposition, finalement avortée, du groupe hôtelier Accor de reprendre la participation publique. Mais la question demeure : l’Etat doit-il rester au capital du quatrième groupe aérien européen ? Au gouvernement, il n’existe aucun tabou sur la question, et l’on estime que la compagnie ne fait pas partie des actifs stratégiques.

En outre, l’entrée au capital, en 2017, de deux actionnaires étrangers importants change la donne. En effet, le chinois China Eastern et l’américain Delta Air Lines ont imposé de séparer les fonctions de PDG, avec un président non exécutif et un directeur général opérationnel, comme dans la plupart des groupes anglo-saxons. Et surtout, pour élargir le champ des candidatures au-delà de l’Hexagone, ils ont obtenu que le salaire du futur dirigeant soit triplé, pour atteindre les standards internationaux, alors qu’il était plafonné comme dans les entreprises publiques. Leur volonté est claire : se libérer des influences politiques franco-françaises et des PDG proches du pouvoirs en place.

L’heure n’est-elle pas venue, pour l’Etat, d’en tirer les conséquences ? Donc de sortir de ses ambivalences avant d’y être contraint.