Andrew Brunson, le 25 juillet, jour de sa sortie de la prison d’Izmir, pour être assigné à résidence avec une interdiction de quitter le territoire. / - / AFP

En octobre 2016, quand la police turque arrête Andrew Brunson, un pasteur évangélique américain installé depuis plus de vingt ans en Turquie, personne ne pouvait imaginer la suite. Vingt-deux mois plus tard, l’affaire judiciaire autour de ce modeste homme d’église a mis la relation américano-turque au tapis, tout en faisant chuter la devise turque, au point d’envoyer une onde de choc sur les marchés financiers de la planète.

En dépit des appels répétés du président américain, Donald Trump, de libérer le pasteur et de le renvoyer aux Etats-Unis, aucun signe d’apaisement n’est en vue. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, ne plie pas.

Aux yeux du numéro un turc, l’effondrement de la devise nationale, survenu après l’annonce du doublement des taxes sur l’acier et l’aluminium turcs à destination des Etats-Unis, est le fruit d’un complot. Il s’agit d’un « putsch » auquel la Turquie répondra avec « tous les moyens à sa disposition ». Le mot « guerre » est manié à l’envi dans ses discours. Il l’a encore prononcé lundi 13 août à la réunion annuelle des ambassadeurs, à Ankara : « Le secret des pays qui réussissent réside dans leur préparation à la guerre. »

Donc, pas question de libérer Andrew Brunson. Mercredi 15 août, un tribunal turc a ainsi rejeté un nouvel appel de l’avocat du pasteur, Cem Halavurt, pour la levée de son assignation à résidence et de son interdiction de quitter le territoire. Un petit espoir subsiste toutefois car une autre cour de justice va examiner sa requête.

D’autres sanctions pourraient suivre

Contre toute attente, le même jour, un tribunal d’Istanbul a ordonné la remise en liberté conditionnelle du président d’Amnesty International, Taner Kiliç, écroué depuis plus d’un an pour appartenance à une organisation terroriste. Or, Taner Kiliç est mentionné en tant que complice dans l’acte d’accusation du pasteur Brunson, un texte ponctué de suppositions délirantes.

Le temps presse. L’ultimatum fixé par les Américains aux autorités turques expire mercredi soir, heure de Washington. D’autres sanctions pourraient suivre. Ulcérée, l’administration américaine demande non plus la seule libération du pasteur, mais aussi celle de quinze autres personnes.

« Nous en appelons à nouveau aux autorités turques pour ce cas et tous les autres cas de citoyens américains injustement détenus en Turquie, tout comme les employés turcs des missions diplomatiques des Etats-Unis. Leurs cas doivent être résolus au plus vite de façon juste et transparente, c’est ce que demande mon gouvernement », a déclaré mardi Jeffrey Hovenier, le chargé d’affaires de l’ambassade américaine à Ankara (il n’y a plus d’ambassadeur depuis novembre 2017) après avoir rendu visite au pasteur. Celui-ci a été placé depuis peu en résidence surveillée à son domicile, à Izmir. Affaibli par ses vingt et un mois de détention, il a perdu 20 kg et son moral est au plus bas.

Liens présumés avec le prédicateur Fethullah Gülen

Qui est le pasteur Brunson ? Bien connu des habitants de la ville d’Izmir, parlant parfaitement le turc, ce quinquagénaire au visage poupin n’avait jamais eu d’ennuis avec les autorités, jusqu’à ce qu’il soit convoqué en octobre 2016 par l’office des migrations pour ce qu’il pensait être une simple histoire de permis de séjour.

Mais lorsqu’il se rend à la convocation, il est arrêté. On lui reproche ses liens présumés avec le mouvement du prédicateur musulman Fethullah Gülen, accusé par Ankara d’avoir fomenté le coup d’Etat raté du 15 juillet 2016. Cette tentative de soulèvement d’une partie de l’armée a conduit à une vague de répression sans précédent. Plus de 160 000 fonctionnaires ont été limogés, plus de 60 000 personnes ont été écrouées.

Incarcéré, transféré de prison en prison, Andrew Brunson va devoir attendre six mois avant d’être mis en examen. Les autorités turques lui reprochent ce qu’elles décrivent comme des rencontres avec des gülenistes ainsi qu’avec des Kurdes présumés membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), la rébellion kurde autonomiste devenue la bête noire d’Ankara. Il est également accusé d’espionnage, autant d’accusations qu’il dément catégoriquement.

L’acte d’accusation évoque la présence sur son téléphone portable de la recette du maklube, le « mets préféré des gülenistes », selon la pensée officielle post coup d’Etat, ainsi que l’utilisation du mot « Kurdistan ». « Le suspect a préparé une bible en kurde, intitulée Ziyajin, dans le but de séparer les citoyens kurdes en leur assurant qu’ils sont la Treizième tribu perdue (…). Il s’agit d’une synergie conçue pour diviser et conquérir la République de Turquie », y est-il écrit.

Comme c’est le cas lors des procès des suspects arrêtés après la tentative de coup d’Etat, l’accusation repose essentiellement sur des témoins anonymes. L’un d’eux explique : « A plusieurs reprises le témoin a aperçu le suspect Andrew Craig Brunson, à l’église, dans des cafés, à la plage, en train de marcher, d’être assis ou de parler à des personnes qui n’avaient rien à voir avec sa congrégation mais dont l’apparence et le style peuvent être décrits comme gülenistes. »