François Mitterrand félicite les vainqueurs de la Coupe Davis 1991 : Arnaud Boetsch, Guy Forget, Olivier Delaitre et Henri Leconte et leur capitaine, Yannick Noah, lors d'une réception à l'Elysée, le 6 décembre 1991. A droite, Philippe Chatrier, président de la Fédération internationale de tennis, et Jean Borotra, l'un des "Quatre Mousquetaires". / GERARD FOUET / AFP

Le saladier d’argent n’est pas encore mis en bière, mais l’avis d’obsèques est sur le point d’être publié. La Fédération internationale de tennis (FIT, ou ITF en anglais) est réunie depuis lundi à Orlando (Floride) dans le cadre de son assemblée générale annuelle. Elle soumet au vote, jeudi 16 août, sa réforme aussi radicale que clivante de la Coupe Davis, que beaucoup considèrent comme une « mise à mort » de la vénérable compétition par équipes.

  • Une réforme : oui, mais pourquoi ?

Le 26 février, la Fédération internationale de tennis lançait une petite bombe en annonçant déposer un projet de réforme de la séculaire Coupe Davis. L’épreuve par équipes, créée en 1900, est, à ce jour, disputée sur quatre week-ends entre janvier et novembre.

Le président de la FIT, David Haggerty, et son allié Bernard Giudicelli, responsable du comité de Coupe Davis au sein de l’instance (et président de la Fédération française de tennis), sont partis d’un constat : la compétition est chaque saison un peu plus snobée par les meilleurs joueurs. Le motif régulièrement invoqué : un calendrier surchargé, justifient les mêmes qui se précipitent sur les exhibitions par équipes (International Premier Tennis League ou IPTL, et autres Laver Cup) autrement plus lucratives.

La FIT a donc décidé de condenser l’épreuve, espérant appâter les joueurs en leur jouant l’air du « jouer moins pour gagner plus ». Le partenariat avec le groupe d’investissement Kosmos, présidé par le footballeur Gerard Piqué, porte sur vingt-cinq ans et trois milliards de dollars (2,5 milliards d’euros environ). Il garantit vingt millions de dollars chaque année aux joueurs participants, et plus encore (21,5 millions de dollars) aux fédérations pour le développement du tennis.

  • En quoi consisterait le nouveau format ?

Sortez l’aspirine et les calculatrices. Fini les quatre week-ends prolongés répartis au long de l’année, à domicile ou à l’extérieur. Fini aussi les matchs en trois sets gagnants, au profit de parties en deux. Terminé, enfin, les rencontres en cinq points, qui se limiteraient à deux simples et un double, soldés en une journée. Place, dès 2019, à une phase finale d’une semaine réunissant 18 équipes, en clôture de la saison, sur terrain neutre.

Les détracteurs de la réforme déplorent la fin des rencontres à domicile et à l’extérieur et l’ambiance incomparable qui règne traditionnellement en Coupe Davis (ici lors d’une rencontre Etats-Unis - Inde en 2001). / ROBERTO SCHMIDT / AFP

Les quatre demi-finalistes de l’édition précédente seraient automatiquement qualifiés (Espagne, France, Croatie, Etats-Unis pour l’an prochain). S’y ajouteraient deux nations invitées, et douze issues d’un premier tour disputé sur le format traditionnel domicile-extérieur réduit à deux jours : 4 + 2 + 12 = 18.

Ce tour qualificatif ne figurait pas dans la première mouture dévoilée par la FIT en février. Mais, devant le tollé qu’elle a soulevé, l’instance a légèrement revu sa copie. De même qu’il n’est plus question de figer la phase finale en Asie, comme les porteurs du projet l’avaient initialement laissé entendre. Selon Bernard Giudicelli, l’idée est de « choisir une ville européenne pour les éditions 2019 et 2020 ». Quatre ont déjà fait acte de candidature : Lille, Madrid, Istanbul et Saint-Pétersbourg.

  • Quelles sont les modalités du vote ?

Pour être adoptée, la réforme doit obtenir une majorité des deux tiers des suffrages exprimés lors du vote, jeudi. La FIT compte 210 fédérations membres, mais seules 144 sont habilitées à voter.

Ces pays affiliés disposent d’un nombre de voix variable, allant d’une à douze, ce qui leur confère un poids différent dans le scrutin. Cinq fédérations, l’Australie, la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis – à savoir, les quatre accueillant des tournois du Grand Chelem – plus l’Allemagne, disposent de douze voix. A titre d’exemple, la Suisse, l’Espagne et l’Argentine en ont 9 ; la Serbie et la Croatie 7 ; la Belgique, 5.

Au total, les 144 pays votants représentent 459 voix. Si tous les suffrages sont exprimés, le oui l’emportera à partir de 306 voix. Le non s’imposera, lui, dès 154 voix.

  • Qui est pour ? Qui est contre ?

Parmi les fédérations qui comptent, la France s’est prononcée majoritairement en faveur du projet lors d’une assemblée générale extraordinaire au sortir de Roland-Garros. Et ce, malgré le cri d’alarme de joueurs actuels de l’équipe comme Lucas Pouille, Nicolas Mahut ou encore Pierre-Hugues Herbert et du capitaine emblématique Yannick Noah, qui cédera ses fonctions à la fin de cette campagne à Amélie Mauresmo, nommée en juin.

Les joueurs australiens Bob Mark, Neale Fraser, Harry Hopman (coach), Rod Laver and Roy Emerson après leur victoire face à l’Italie, à Sydney, le 21 décembre 1961. / STF / AFP

Les Etats-Unis et les Pays-Bas notamment défendent également cette refonte, au contraire de l’Allemagne, la Russie, la Pologne, l’Inde ou encore l’Australie, la nation la plus remontée contre le projet. Quatre générations de joueurs australiens, menés par Rod Laver ou encore Lleyton Hewitt, se sont unies pour exprimer leur opposition, estimant que la nouvelle formule allait dénaturer cette compétition historique. La formule proposée « ôte à la Coupe Davis tout ce qui en fait un événement unique et spécial », déplore la Fédération australienne dans une lettre adressée à la FIT. « Vous ne pouvez pas appeler ça la Coupe Davis. (…) C’est une transaction financière. Il n’est question que d’argent, pas de représenter son pays, ça n’a aucun sens », a ainsi assené Hewitt.

Amélie Mauresmo, qui prendra ses fonctions pour la campagne 2019, a réagi à l’initiative de la Fédération australienne : « Nous avons besoin de plus d’options (et davantage de temps) pour mettre en œuvre une nouvelle formule de Coupe Davis convenable avec les ajustements dont elle a besoin », a-t-elle commenté dans un Tweet :

Ces divisions n’ont pas l’air d’inquiéter le président de la FIT, David Haggerty, qui s’est dit « confiant » et « optimiste », fort du « soutien total » à son projet apporté par trois des quatre tournois du Grand Chelem (Roland-Garros, Wimbledon et l’US Open). « Beaucoup de nations, non seulement en Europe mais partout dans le monde, soutiennent la réforme », veut-il croire.

  • Bientôt deux Coupes du monde par équipes ?

Imaginez une Coupe du monde de football organisée par la FIFA en juillet et une autre par la FIFPro (le syndicat des footballeurs), conjointement avec la FFF, en septembre : c’est à peu près l’équivalent de ce qui est en train de se produire en tennis.

Bientôt, deux Coupes du monde par équipes pourraient coexister et se dérouler à six semaines d’intervalle. Une aberration, tout le monde en convient, conséquence de la résurgence du conflit entre les instances régissant le tennis masculin : l’Association des joueurs de tennis professionnels (ATP) et la Fédération internationale.

L’ATP a, en effet, ressorti de ses cartons la World Team Cup (une Coupe des nations qui avait été organisée de 1978 à 2012), en partenariat avec Tennis Australia. Le conseil de l’ATP a voté début juillet (à l’unanimité côté joueurs et à plus de 70 % côté directeurs de tournoi) pour son retour en janvier 2020. L’épreuve, disputée en amont de l’Open d’Australie et qui distribuerait des points au classement, au contraire de la Coupe Davis, servirait de préparation idéale au premier Grand Chelem de la saison.

Sachant que la première édition de la Coupe Davis nouvelle formule serait programmée en novembre 2019, les joueurs devraient donc abréger leurs vacances pour disputer les deux – option peu réaliste. Ou, plus vraisemblablement, opter pour l’une au détriment de l’autre. Bref, quand bien même le projet venait à être entériné jeudi, la résurrection de la Coupe Davis ne serait peut-être qu’éphémère.