A Lyon, les tacles glissés décrochent des pans entiers de pelouse. A Angers, un champignon transforme le rectangle vert en une piste de terre battue. Certaines pelouses, sur lesquelles s’est disputée le week-end dernier la première journée de Ligue 1, sont indignes d’un pays champion du monde de football.

Comme une tradition, les gazons des stades des clubs français entretiennent chaque saison leur triste réputation. Et malgré toutes les critiques émises par les joueurs et les entraîneurs, dont la célèbre comparaison en 2016 de Pascal Dupraz, alors entraîneur de Toulouse, entre la pelouse du Stadium et le désert de Gobi, la révolution verte tarde à venir.

En août 2016, la pelouse du Stadium de Toulouse était ravagée par un champignon. / DR

Une relation à la pelouse bien française

« En France, on n’écoute tout simplement pas les jardiniers. Il y a peu de respect et de considération pour ce métier », expliquait sur le site du Paris-Saint-Germain Jonathan Calderwood, star des jardiniers anglais en charge de la pelouse du Parc des Princes, lors de son arrivée en 2013. Un salaire de 250 000 euros par an lui est proposé pour métamorphoser un pré dans un état déplorable. Il confiait même : « La première année, je n’arrivais pas à regarder les matchs tant le terrain était catastrophique. »

En France, la pelouse est un paramètre négligé par la direction sportive lors de la préparation tactique des équipes professionnelles. « Les clubs français ne comprennent pas toujours ce qu’il faut pour avoir un terrain propice au bon jeu : l’équipement en sous-sol, l’investissement financier, la machinerie, la qualité des tondeuses, la qualité des jardiniers et leur qualification », remarquait Jonathan Calderwood. « C’est une vraie différence par rapport à l’Angleterre. »

En Premier League, les conseils des jardiniers sont attentivement suivis et une équipe, aussi prestigieuse soit-elle, peut ne pas s’entraîner dans son stade si le responsable du terrain estime avoir encore du travail. Un tel pouvoir de décision est impensable pour un jardinier français. « Il faut aimer une pelouse, la respirer, sentir de quoi elle a besoin », note Tony Stones, autre ground manager anglais, responsable, lui, de la pelouse du Stade de France.

Le romantisme britannique d’une pelouse choyée par son jardinier n’est donc pas entré dans les mœurs françaises, même si la Ligue de football professionnel (LFP) a chargé, en 2015, Jonathan Calderwood de donner des cours et des conseils à ses homologues français. Et, grâce à lui, Paris a remporté quatre fois le titre de « meilleure pelouse de L1 ».

Jonathan Calderwood,« ground manager » du Parc des Princes. / AFP

La saison dernière, Guingamp s’est adjugé le titre à la surprise générale. La preuve que le budget serré d’un club ne peut pas pleinement justifier une pelouse en mauvais état. « Il y a un manque de moyens financiers mais aussi des questions utiles que les clubs ne se posent pas, comme la recherche du meilleur substrat », explique-t-on chez Covergarden, première entreprise productrice de gazon en France.

L’installation d’une pelouse coûte, selon ses caractéristiques, entre 500 000 et 1,5 million d’euros. Un coût perçu par le président de Guingamp, Bertrand Desplat, comme un investissement sportif nécessaire. Plus de 1,3 million d’euros dépensés mais des conditions de jeu supérieures et durables au stade du Roudourou.

En cas de problèmes, les clubs français ont le réflexe de changer la pelouse dans son intégralité. C’est la dernière décision prise au Groupama Stadium de Lyon. Dans un état déplorable contre Amiens lors de la première journée, l’OL et la société chargée de l’entretien des terrains ont décidé de commander de nouveaux rouleaux de gazon. « Quand on manque de temps, la seule solution, c’est de remplacer la pelouse dans son intégralité. Un travail de soin en amont aurait pourtant été la meilleure solution », confie l’entreprise.

Les stades de football sont le théâtre de manifestations culturelles désastreuses pour la bonne santé du gazon. En juin, l’enceinte lyonnaise avait accueilli le « Monster Jam », un divertissement où des engins mécaniques effectuent des figures acrobatiques et s’écrasent sur des carcasses de voitures. A Lorient, le stade du Moustoir est actuellement impraticable après le passage du Festival interceltique alors que la saison de Ligue 2 a déjà commencé. La prochaine rencontre à domicile des « Merlus » se jouera ainsi à Bordeaux et à huis clos, une véritable punition pour les supporters bretons.

Un problème pour l’attractivité de la Ligue 1

Une équipe assez faible techniquement peut toutefois profiter des mottes de terre pour faire déjouer les joueurs adverses. Si la victoire de Strasbourg contre le PSG lors de la 16journée de la saison dernière doit beaucoup à l’audace des Strasbourgeois, l’état de la pelouse a facilité leur mission. Un terrain cabossé trouble la beauté du sport mais peut devenir un allié pour décrocher des points inespérés.

Afin d’inciter les clubs à mieux entretenir leur pelouse et favoriser le spectacle, la Ligue de football professionnel a instauré des sanctions contre les clubs négligents. « Si un club obtient trois journées consécutives une note inférieure à dix au championnat des pelouses, la commission des compétitions peut infliger une amende allant jusqu’à 50 000 euros. Les bons élèves, eux, sont récompensés », explique la LFP. L’état des pelouses compte dans l’obtention de la Licence Club, précieux sésame pour obtenir les bénéfices des droits audiovisuels.

Prévenir au lieu de guérir, tel est le but de la LFP. En 2016, des ingénieurs agronomes ont été mandatés pour travailler avec les représentants des clubs. La Ligue avait, cette même année, organisé en début de saison un séminaire pour habituer les gérants des stades, pas forcément les clubs d’ailleurs car très peu sont propriétaires de leur enceinte, à prendre soin des surfaces de jeu. Un autre problème fut alors soulevé. Locataires de leur stade, les clubs n’ont pas toujours l’influence nécessaire sur la vie de la pelouse.

En récupérant l’exploitation du stade Vélodrome, le propriétaire de l’Olympique de Marseille, Frank McCourt, a annoncé que la bonne qualité du terrain serait sa priorité. « Nous devrions avoir une des meilleures pelouses de Ligue 1 et non une des pires », regrettait-il dimanche 12 août dans le « Canal Football Club ». Au classement des pelouses, Marseille occupait l’an dernier une triste seizième place.

La mode de la pelouse hybride

Pour contrer le fléau de ces terrains devenus champs de patates et contourner les dépenses récurrentes pour des améliorations éphémères, certains clubs avaient opté pour des pelouses synthétiques. Mais devant la fronde de l’UNFP, le syndicat national des footballeurs professionnels, qui accusait le synthétique de favoriser les blessures, la LFP a interdit l’installation de ce type de matière en 2017. Lorient et Nancy, qui avaient choisi cette surface, l’ont alors remplacée par des pelouses hybrides, alliant gazon naturel et microfibres synthétiques.

La pelouse hybride est de plus en plus plébiscitée par les clubs car elle s’adapte bien aux hivers rugueux et évacue l’eau facilement. Seul son prix reste un frein. Troyes a ainsi dû débourser 1 million d’euros pour s’offrir la sienne. Une somme importante quand on sait que le budget du club est de 26 millions d’euros.

Et, contrairement au synthétique, ce type de pelouse a besoin d’être bichonné à la crème anglaise. Les jardiniers donnent vie et beauté au football. L’arrivée en France, ces dernières années, de leurs meilleurs représentants britanniques est là pour le rappeler.