L’écrivain camerounais de livres pour enfants Alain Serge Dzotap. / DR

Au Cameroun, Alain Serge Dzotap est avant tout connu pour Le Roi Njoya, un génial inventeur, un album jeunesse illustré par le Congolais Pat Masioni et qui « parle d’un monarque camerounais, sorte de roi-soleil de la fin du XIXe siècle, début du XXe siècle ». Mais le premier conte que l’auteur de Bafoussam, dans l’ouest du pays, a proposé à des éditeurs s’appelait Petit Hippo et son stylo magique. C’était en 2007 et la revue Tralalire, éditée par le groupe français Bayard, avait publié cette tendre histoire d’initiation qui, ce n’est pas un hasard, racontait l’enchantement de la découverte de l’écriture.

Car chez l’auteur et éditeur camerounais aussi, la graine a germé doucement. D’abord grâce aux manuels scolaires où le garçon découvre l’écriture, puis lorsqu’il entre dans la caverne d’Ali Baba : la bibliothèque pilote provinciale de Bafoussam, sa ville natale : « Une découverte capitale ! J’ai eu accès à des livres venus de partout, dit-il. Cela m’a nourri et ouvert des horizons. » Né en 1978, Alain Serge Dzotap bénéficie alors de la création d’un réseau de bibliothèques municipales au Cameroun : « Je ne sais même pas comment je m’y étais pris à l’époque pour payer les 2 000 francs CFA [3 euros] d’inscription ! Peut-être parce que je suis tenace, en tant que dernier d’une famille de dix enfants. Dans notre maison, il n’y avait pas de livres, mes parents ne savaient pas lire. »

Le collégien ébloui s’enivre de lectures jusqu’à ce que la découverte de poèmes écrits par son frère aîné lui donne l’élan : « Je me suis mis à écrire de la poésie. Je voulais partager des émotions, m’adresser à un enfant. Ce n’est qu’aujourd’hui que je me rends compte que cet enfant-là, c’était probablement moi. »

« Le Roi Njoya » au Mali

Depuis Petit Hippo, l’auteur a fait du chemin. Il s’est fait une place dans les catalogues d’éditeurs français (L’Ecole des loisirs, Sarbacane, Albin Michel), mais aussi au Mali, où son Roi Njoya a été édité chez Cauris Livres. Autant de collaborations à distance dont Alain Serge Dzotap ne manque pas de souligner le caractère paradoxal : « Mes livres sont pour la plupart édités hors du continent africain. Pratiquement tous mes revenus viennent de ce que je fais ailleurs. Je vis dans une ville qui ne produit pas les livres qu’elle consomme. »

Pourtant, lui-même se démène pour faire vivre la littérature jeunesse à Bafoussam : ateliers d’écriture, animations scolaires et même une maison d’édition, appelée Les Bruits de l’encre. « Les ateliers d’écriture que j’animais étaient gratuits et à mes frais, pour donner aux jeunes le goût de lire et d’écrire. Puis j’ai créé ma maison pour que les textes des enfants ne disparaissent pas sans laisser de traces. »

Ces dernières années, diverses distinctions ont renforcé les convictions d’Alain Serge Dzotap. Le prix Saint-Exupéry Valeurs Jeunesse en 2007 et 2014, le White Ravens de la Bibliothèque internationale de la jeunesse de Munich en 2013, et même la médaille de Chevalier de l’ordre du mérite au Cameroun en 2016. « La médaille ne me donne aucun avantage, mais les distinctions sont de très agréables surprises », dit-il.

Le quadragénaire, qui sait que nul n’est prophète en son pays, continue modestement son itinéraire de semeur d’histoires, avec des albums intitulés Tu sais que je t’aime très fort, Le roi et le premier venu, Monstre glouton…

Pas sérieux, le métier d’auteur jeunesse ? Alain Serge Dzotap s’insurge : « Qu’est-ce qui peut être plus sérieux qu’écrire une histoire qui pourrait marquer un enfant à vie ? Je fais actuellement mijoter dans ma tête l’idée d’un texte sur la différence. Notre pays est divisé par un conflit tel que les gens se traitent, d’une zone à l’autre, d’anglofous et de francofous [anglophones et francophones], oubliant que nous faisons partie d’une même nation. Il est urgent de rappeler que “les autres” ne sont pas autre chose que nous. »

Pour sa fille de 2 ans, Alain Serge Dzotap souhaiterait voir rouvrir le secteur jeunesse de la bibliothèque de Bafoussam, fermé depuis des années. En attendant, à chaque fois qu’il en a l’occasion, il rachète les livres que lui-même lisait à l’école primaire : « Lorsque je les feuillette, chaque page réveille en moi une émotion de mon enfance. »