Donald Trump, lors d’un rassemblement à Utica, dans l’Etat de New York, le 13 août. / CARLOS BARRIA / REUTERS

Comme souvent, Donald Trump avait répondu aux critiques par des attaques. Largement critiqué par la presse américaine pour son ton conciliant envers Vladimir Poutine lors du sommet d’Helsinki, le 16 juillet, le président américain avait qualifié les médias de « véritables ennemis du peuple ».

Une attaque de trop envers le quatrième pouvoir ? Un mois plus tard, plus de 350 journaux, sites et magazines américains reprennent cette expression et se rassemblent derrière le hashtag #EnemyOfNone (ennemi de personne). Que leur diffusion soit locale ou nationale, que leur ligne éditoriale soit progressiste ou conservatrice, des centaines de journalistes insistent, jeudi 16 août, sur l’importance de l’indépendance des médias.

« Nous avons aujourd’hui aux Etats-Unis un président qui a créé un mantra selon lequel tout média qui ne soutient pas ouvertement la politique de l’administration actuelle est “l’ennemi du peuple” », déplore le Boston Globe, le journal à l’initiative de cette campagne médiatique. Pour le quotidien du Massachusetts l’attitude de M. Trump encourage même des présidents comme Vladimir Poutine ou Recep Tayyip Erdogan à traiter les journalistes comme des ennemis.

Même le New York Post, à la ligne éditoriale généralement pro-Trump, s’est joint à l’initiative du Boston Globe. « Qui sommes-nous pour ne pas être d’accord ? Nous soutenons une presse libre et dynamique, une nation où les puissants doivent rendre des comptes au quatrième pouvoir », écrit le tabloïd. « Est-ce que ça changera quelque chose ? Pas un brin », confesse le journal. « Tout ce que nous pouvons faire, c’est continuer à faire des reportages » malgré les critiques du pouvoir.

Un danger, selon le « New York Times »

« Cela a toujours été dans l’intérêt des puissants d’écarter et de discréditer ceux qui pourraient exercer un contrôle sur leur pouvoir, reconnaît dans son éditorial le Star Tribune, principal quotidien du Minnesota. Le président Donald Trump n’est pas le premier homme politique à attaquer ouvertement les médias pour avoir usé de leur pouvoir de contrôle. Mais il est peut-être le plus flagrant et le plus acharné. »

Le New York Times cite l’exemple de Thomas Jefferson qui, l’année de l’adoption de la Constitution américaine, en 1787 – dont le premier amendement garantit la liberté d’expression et protège les journalistes –, écrivait dans une lettre qu’il préférerait encore « des journaux sans gouvernement » à « un gouvernement sans journaux ». Vingt ans plus tard, l’homme devenu le troisième président des Etats-Unis (1801-1809), soumis aux critiques de la presse, semblait avoir changé d’avis en affirmant que « rien de ce qui est publié dans un journal ne peut être cru ».

« Critiquer les médias – parce qu’ils ont sous-estimé ou surestimé des faits, parce qu’ils se sont trompés – est tout à fait normal », estime le quotidien new-yorkais dans son éditorial. « Les journalistes sont humains et font des erreurs. Corriger ces erreurs est au cœur de notre travail. Mais insister sur le fait que les vérités qui ne vous plaisent pas sont des “fake news” est dangereux pour la démocratie. Et qualifier les journalistes d’“ennemis du peuple” est dangereux, point. »

Les attaques de Donald Trump envers la presse sont particulièrement difficiles pour des journaux locaux, déjà fortement touchés par la crise économique du secteur, souligne le New York Times. « Et pourtant, les journalistes de ces médias continuent à faire ce travail difficile, à poser des questions et à raconter des histoires dont vous n’auriez pas entendu parler autrement », fait remarquer le quotidien à la diffusion internationale, invitant ses lecteurs à soutenir la presse locale.

« Le chœur des critiques haineuses s’est amplifié »

Le San Luis Obispo Tribune, par exemple, un quotidien californien qui participe à cette campagne de défense des médias en listant les reproches entendus par ses journalistes dans le cadre de leur travail : « Nous sommes nuls. Nous mentons. Nous faisons partie d’un vaste complot visant à (inscrivez ce que vous voulez). (…) Rien de tout cela n’est nouveau, mais le chœur des critiques haineuses s’est amplifié, devenant plus bruyant, plus méchant, et cela affecte tout notre personnel. »

S’adressant directement à ses lecteurs, le journal insiste sur la proximité qui existe entre les journalistes et les citoyens :

« Nous sommes membres de vos communautés. Nous couvrons les remises de diplômes et les matchs de football de vos enfants ; nous vous disons qui se présente aux élections ; nous vous informons de l’arrivée d’une nouvelle entreprise en ville. Nous écrivons sur les accidents, les arrestations et les procès criminels, et nous avons consacré de longues heures à couvrir les inondations, les tremblements de terre et les incendies. »

L’occasion de demander de qui et de quoi les journalistes sont-ils vraiment les ennemis, s’interroge le Chicago Sun-Times. « Nous sommes les ennemis de l’autorité incontrôlée et des privilèges non mérités. Nous sommes les ennemis des rues meurtrières et des gangs violents. Nous sommes les ennemis des gangsters qui tirent dans la foule. Nous sommes les ennemis des défaillances sociétales de notre ville et de notre pays qui ont créé ces gangsters et leur ont donné de l’espace », assure le quotidien de l’Illinois.

Assailli par des centaines d’éditoriaux, Donald Trump n’a pas pu s’empêcher de réagir jeudi dans un de ses fameux Tweets matinaux :

« LES MÉDIAS BIDONS SONT LE PARTI D’OPPOSITION. C’est très mauvais pour notre grand pays… MAIS NOUS GAGNONS ! »