Emmanuel Nakoune Yandoko, directeur scientifique de l’institut Pasteur de Bangui, en mai 2018. / FLORENT VERGNES / AFP

Une sérieuse alerte a ébranlé l’institut Pasteur de Bangui jeudi 9 août. Alors qu’une nouvelle épidémie d’Ebola sévit dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), sept personnes atteintes de fièvre et d’hémorragies se sont présentées à l’hôpital de Mboki, une ville proche de la frontière congolaise.

Le ministère de la santé et l’institut Pasteur, qui sert de centre de référence à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour le diagnostic des virus et des fièvres hémorragiques, ont dépêché une équipe d’intervention rapide. Les prélèvements sur les malades ont rapidement permis d’écarter de possibles cas d’Ebola et le dispositif d’alerte mis en place après la dernière grande épidémie survenue en 2014 en Afrique de l’Ouest (Guinée, Sierra Leone et Liberia) a pour la première fois été testé.

Emmanuel Nakoune Yandoko, directeur scientifique de l’institut Pasteur de Bangui, tire les leçons de l’exercice et insiste sur la nécessité de coopérer avec les groupes rebelles pour prévenir la propagation d’une éventuelle épidémie. 

Pourquoi la ville de Mboki est-elle stratégique dans le dispositif de prévention ?

Emmanuel Nakoune Yandoko Mboki est une sous-préfecture située à 900 km de Bangui, dans le sud-est de la Centrafrique, dans une grande région de forêts quasi inhabitée. La ville se trouve donc au milieu d’un écosystème favorable à l’émergence de maladies à fort potentiel épidémique. Elle possède le seul centre de santé de la région et attirerait en conséquence les populations à la ronde menacées par une épidémie. Des populations locales, bien sûr, mais aussi celles de RDC ou du Soudan du Sud. Or tout le personnel qui était employé à Mboki est parti à Bangui et il ne reste plus qu’un secouriste, mal formé. Car la zone, de par la présence de groupes rebelles, connaît d’énormes problèmes de sécurité.

En quoi la présence de groupes armés accroît-elle les risques de diffusion du virus ?

Les groupes, comme l’Armée de résistance du seigneur (LRA), circulent entre la RDC, l’Ouganda et même le Soudan du Sud. D’autres formations rebelles centrafricaines traversent régulièrement cette zone. Récemment, nous avons reçu des prélèvements effectués sur des rebelles arrêtés en RDC puis extradés à Bangui, et nous avons découvert que 80 % d’entre eux avaient des anticorps dirigés contre le virus Ebola. Cela veut dire qu’ils ont été en contact avec un probable réservoir du virus et qu’ils sont potentiellement des vecteurs de transmission.

Il est donc essentiel de les sensibiliser. Ces groupes respectent les structures de santé et nous pouvons les mettre à contribution. L’épidémie d’Ebola survenue au Gabon a par exemple clairement montré que l’épisode avait été précédé par une mortalité anormale des animaux, comme les grands singes ou les antilopes. Les rebelles qui circulent dans la forêt pourraient nous alerter de telles situations.

Comment obtenir leur coopération ?

En mettant en place un système de surveillance au sein duquel ils seront intégrés. Pendant notre mission, nous avons rencontré des représentants de ces groupes à Bria et Mboki. Je ne doute pas qu’ils collaboreront, car eux aussi ont peur d’Ebola. Ils consomment de la viande de brousse, qui est une source de contamination. Il est donc dans leur intérêt d’être dans un réseau de surveillance.

Si Ebola est confirmé, quel serait le rôle de l’institut Pasteur de Bangui ?

Il existe un plan de contingentement élaboré par le ministère de la santé avec l’appui de l’OMS. L’institut Pasteur de Bangui a été renforcé en plateau technique, pour permettre de poser les diagnostics et de confirmer les cas. Nous avons également reçu des équipements de protection individuelle. Si un cas est confirmé, nous avons la possibilité de déployer le laboratoire sur le site pour éviter le transport d’échantillons vers la capitale, avec toutes les difficultés que cela implique.

Nous disposons à Bangui d’un laboratoire de sécurité P3+, avec un système de dépressurisation et une « boîte à gants », qui nous permet de faire face à toutes les menaces, dont les arbovirus comme Ebola ou Marburg. Si un cas était confirmé en Centrafrique, avec les experts de l’OMS et les humanitaires déployés dans le pays, comme Médecins sans frontières, nous aurions les ressources nécessaires pour commencer à prendre en charge les patients infectés en attendant l’aide des autres partenaires internationaux.

Le pays est donc préparé à un risque d’épidémie ?

L’alerte de Mboki a démontré un bon niveau de réactivité. Nous avons réussi à mobiliser l’ensemble des partenaires, dont la Minusca [la mission de l’ONU en Centrafrique], en moins de quarante-huit heures. Mais nous nous sommes rendu compte qu’au sein de l’équipe, tous n’étaient pas bien préparés. A titre d’anecdote, le médecin clinicien qui était censé prendre en charge les patients n’a pas pu mettre sa combinaison parce qu’il était trop stressé. On a été obligé de lui demander de rester à l’extérieur du centre. En situation réelle, le stress est grand. Il est important de former des personnes motivées et courageuses et de multiplier les exercices pour être prêt à d’éventuelles interventions si jamais un cas d’Ebola devait être confirmé.