L’action, l’aventure, ou, plus récemment, l’émotion, le jeu vidéo, le jeu vidéo commercial, celui qui a pignon sur rue, les connaît bien. La politique en revanche, n’est pas exactement son terrain d’expression favori. Un des rares contre-exemples est sans doute Papers, Please, qui, en 2013, décrivait les journées de travail d’un agent d’immigration posté à la frontière d’une république soviétique.

Not Tonight en reprend un peu le concept, en faisant de son héros un videur de boîte de nuit dans une Angleterre post-Brexit, dont les talents pour contrôler les papiers des clients seront rapidement repérés par les autorités.

Angoissant, pessimiste mais aussi drôle et musical, Not Tonight sort vendredi 17 août sur PC. Pixels a interviewé son créateur, le Britannique Tim Constant.

Not Tonight Reveal Trailer
Durée : 01:01

Avec un sujet aussi complexe que le Brexit, on se serait attendu à ce que « Not Tonight » soit un « serious game » [pédagogique et souvent austère]. Or il s’agit d’un vrai jeu vidéo « fun ».

Aujourd’hui, si vous cherchez l’inspiration pour raconter un monde dystopique, vous n’avez qu’à regarder autour de vous. Le sérieux, qu’on le veuille ou non, est de toute façon déjà là. Mais, comme vous dites, le jeu doit être fun. Les joueurs PC sont souvent plus réceptifs à des jeux plus expérimentaux, mais cela reste un équilibre délicat à trouver. Tout le monde devrait être capable de s’amuser avec Not Tonight. C’était très important. Et si, en plus, le joueur peut retenir quelque chose de son message, c’est du bonus.

« Not Tonight » est clairement un jeu pro-Union européenne. Vous n’avez pas été tenté de cultiver davantage l’ambiguïté, de laisser le joueur se faire son avis ?

Chaque jour qui passe, il devient de plus en plus évident que les problèmes des Britanniques (et les Britanniques ont des problèmes, il ne faut pas le nier !) ne seront pas réglés par le Brexit. Si on avait créé un jeu ambigu, on aurait trahi nos convictions.

Une équipe américaine aurait peut-être été réticente à l’idée de développer un jeu anti-Trump. Vous n’aviez pas peur, avec un jeu engagé, de vous aliéner une partie de votre public potentiel ?

En tant que petit studio indépendant, nous avons le luxe de nous permettre de partager nos points de vue politiques. Certains développeurs américains n’ont pas peur de prendre parti : je pense à Bethesda, qui édite le jeu [développé en Suède] Wolfenstein, où est décrite une Amérique nazie. Mais je suis d’accord, c’est rare.

Personnellement, je pense qu’il ne faut pas en avoir peur. Forcément, ça va diviser, mais je préfère diviser que de laisser indifférent !

« Not Tonight » est-il un jeu pessimiste ? Il semble dire que, finalement, même les honnêtes citoyens, même les victimes, finiront par collaborer avec le système.

C’est un jeu pessimiste, même si on y injecte des personnages amusants et des situations cocasses pour dédramatiser. Malheureusement, ce n’est que le reflet de ce que ressentent en ce moment même beaucoup de gens au Royaume-Uni. L’impression de foncer droit vers un mur, et que le conducteur n’a ni la logique ni l’intelligence pour se servir des freins.

Entre deux boulots, le joueur devra veiller à payer ses factures, veiller à sa santé, mais pourra aussi se mêler des affaires de la résistance via de petites missions simples. / PanicBarn

Dans « Not Tonight » comme dans le jeu « Papers, Please », le but est d’accepter ou de refuser de laisser entrer des gens sur la foi de leurs papiers, plus ou moins en règle. En quoi cette mécanique de jeu est pratique pour parler de politique ?

Le « simulateur de travail » est un de mes genres de jeux favoris. De Papers, Please à Cart Life [qui dénonce les conditions de travail des caissières dans les grandes surfaces], en passant même par des jeux plus légers, comme [le jeu de cuisine] Overcooked.

Ces jeux permettent de s’appuyer sur quelque chose de familier et de jouer avec. Une fois qu’on a pris ses marques, cela devient plus facile de les subvertir, politiquement ou pas, d’ailleurs. Par exemple, dans Not Tonight, le joueur commence par vérifier que les gens ont l’âge légal pour entrer dans un bar, et progressivement on finit par décider si telle ou telle personne a le droit d’entrer dans le pays.

Pensez-vous que le Brexit va avoir des conséquences et des influences sur l’industrie du jeu vidéo britannique ?

C’est toujours plus facile de décrire ses effets sur des industries plus traditionnelles. Par exemple, les conducteurs de camion ne pourront juste plus traverser l’Europe, en cas de Brexit dur. C’est beaucoup plus simple à comprendre que les conséquences sur l’industrie du jeu vidéo.

La liste des problèmes posés est longue, mais ce qui m’inquiète, personnellement, c’est tout simplement l’impression de séparation, de « fermer les portes ». Pourquoi un professionnel du jeu vidéo choisirait de travailler au Royaume-Uni, si on lui impose des barrières financières, mais aussi des barrières bien réelles ?