Au début est la guitare classique. Fabrice Vieira, jeune homme de 45 ans (guitare, chant, piano), commence à l’étudier au conservatoire national de région : « Lors d’un stage de chant choral, je découvre la musique afro-américaine, à travers ses intervenants – Alain Jean-Marie, Daniel Huck, Sam Woodyard. » En 1987, il croise la Cie Lubat : bande, troupe itinérante, communauté en fusion basée à Uzeste, à équidistance de L’Illustre Théâtre (Molière) et du Living Theater (Judith Malina et Julian Beck) des grandes années. Choc définitif pour Vieira. Il a 14 ans.

Bernard Lubat (Uzeste, 1945) est un batteur de premier plan. Après avoir fait le tour de ses preuves académiques (conservatoire, prix internationaux, musique contemporaine, percussions tout terrain) ; après avoir plongé dans « le métier » sonnant et trébuchant (studio, variété, vie gracieuse), Lubat revient au village natal. Sagesse, prudence, envie de tout autre chose.

Laboratoire « free »

Il y retrouve ses parents – militants communistes qui servent de petits Sauternes à l’Estaminet – et fait monter Alban, son père, et ses deux copains accordéonistes, en scène. Depuis 41 ans, défilent ici, à l’Estaminet, dans les prés, sous les granges, les plus grands artistes, les plus connus, les émergents, les décalés, quelques fous, onze imposteurs, deux vaniteux, et un garçon-coiffeur.

Lire le reportage sur l’édition 2017 : Quarante ans de lutte pour la beauté d’Uzeste

Dans cette mixture de laboratoire « free », de déconnage militant sur fond de communalisme (pour ne pas dire communisme), éducation aussi populaire que les bals qu’elle fomente, Lubat forme des jeunes, des pas jeunes, intègre Minvielle, Marc Perrone, retrouve Portal, Corneloup, Sclavis. Ici, jouer se conjugue avec apprendre. Pas de « festival » où on lise davantage – poésie, philosophie, sciences…

En 1991, Fabrice Vieira intègre le CIM (Centre d’informations musicales, première école de « jazz et musiques actuelles » fondée à Paris par Alain Guerrini). Après un grand bain dans le milieu de l’improvisation, ascendant engagement, il déménage à Uzeste et joue à tout va. Il se dit « œuvrier ». « Œuvrier ? C’est expérimenter sa vie avec d’autres… Evacuer les passions tristes, influer, participer du flux de la vie collective… Se faire expérimentateur et savant du sens commun… »

Une langue bondissante

Lubat et Uzeste Musical se sont forgé, à mains nues, une langue. Une langue bondissante d’à-peu-près, de quasi calembours, de cadrages-débordements (figure du rugby) ; une langue faite d’ébriété décousue, de lacaneries canailles, de clichés détournés ; une langue décalée qui repense la langue. Cette année, le programme roule son premier tambour : « Du passé, faisons table ouverte… »

Fabrice Vieira : « Ma mère est arrivée de son Portugal natal à l’âge de 7 ans. Le souvenir le plus marquant de cette immigration légale fut ce douanier-maquignon évaluant la qualité de sa dentition, ainsi que celle de ses sœurs. » Le père, c’est autre chose. Fuir la misère et la guerre (en Angola), se cacher, migrer… « Après avoir été le témoin de leur désir d’apprendre à lire et écrire, de prendre leur place dans la société », Fabrice Vieira s’est engagé, enjazzé, endiablé. Principe de base : ne rien oublier, ne rien renier, ne rien négliger.

Dans la machine psycho-active d’Uzeste Musical, qui tient de Tinguely et du mouvement des astres, Vieira joue tous les rôles : organisation, programmation, logistique, détails, voyages des invités, débats, dépannages… Dans le Bazadais d’antan (la région de Bazas), on nommait « faytout » ces ouvriers polyvalents. Ils trouvaient toujours un recours et ignoraient la mauvaise humeur.

« En tout “humilitantisme”... »

On en viendrait à oublier, c’est le jeu d’Uzeste, que Fabrice Vieira est un guitariste et un acteur musical de premier ordre : « Jusqu’à mon engagement uzestois, j’avais passé mon temps entre l’étude du jazz et des études de physique à la faculté. Je passais tous les jours des équations de Schrödinger, en physique quantique, aux standards de jazz. Cela me paraissait coriace, mais ce n’était rien à côté de ce que j’allais découvrir de la complexité d’Uzeste Musical. Ici, je travaille l’hypothèse d’être artiste : travailler ici, c’est vérifier que l’art est avant tout un combat politique. Le combat de l’émancipation, de l’éducation populaire et de l’initiation. En tout humilitantisme… »

Dans un programme fleuve, profus, illimité, fait de débats, de musiques, de saynètes et de danse, on peut entendre Fabrice Vieira le vendredi 17 août à 15 heures (Grange Vieira). Il joue en quartet : guitare débridée, Hendrix, Prince, Jeff Beck, et toujours la passion de l’« enjazzement » joyeux.

41e « Hestejada de las arts », Uzeste Musical, jusqu’au 18 août. www.uzeste.org