Vladimir Poutine et Angela Merkel lors de leur rencontre samedi 18 août. / SPUTNIK / REUTERS

Vladimir Poutine s’est fait attendre, samedi soir, à Meseberg. La chancelière Angela Merkel, qui le recevait dans ce château du Brandebourg, a dû patienter une demi-heure pour voir apparaître son homologue russe. Celui-ci avait été retenu dans l’après-midi en Autriche, au mariage de la ministre des affaires étrangères, Karin Kneissl. En son honneur, il y a fait chanter un groupe de cosaques du Don arrivés avec lui, et il s’est fendu d’une danse avec la mariée. « Une visite privée » a déclaré M. Poutine samedi soir pour couper court aux questions des journalistes sur sa présence à ce mariage qui fait scandale en Autriche.

A Meseberg, l’heure n’était plus au vin mousseux et à la danse. D’après les photos diffusées par la chancellerie, la chancelière a reçu le président russe à l’eau minérale. La sobriété était de mise au vu de l’agenda. Durant trois heures, les deux chefs d’Etat se sont entretenus de la situation en Ukraine, du transit gazier en Europe, du conflit en Syrie, du programme nucléaire iranien et des relations germano-russes. « Les thèmes controversés ne peuvent se régler que dans le dialogue », a déclaré la chancelière lors du point de presse commun avant la rencontre, en insistant sur la « responsabilité commune » des deux pays dans la résolution des crises. Aucune déclaration n’a été faite à l’issue des discussions, Vladimir Poutine a quitté l’Allemagne en fin de soirée.

C’est la seconde fois en moins de six mois que Vladimir Poutine et Angela Merkel se rencontrent personnellement. Mi-mai, la chancelière allemande s’était rendue à Sotchi sur les bords de la mer noire. Depuis, elle s’est entretenue avec le ministre des affaires étrangères Lavrov et avec le général Guerassimov, chef d’Etat major des armées russes pour évoquer la situation en Syrie et en Ukraine. L’intensification des rencontres au plus haut niveau suggère qu’après les années de froid entre les deux pays depuis l’annexion de la Crimée, le contexte géopolitique actuel est favorable à une normalisation des relations diplomatiques.

Vladimir Poutine soigne son « client » allemand

Un des moteurs de ce rapprochement est l’économie. La Russie subit la pression des sanctions économiques américaines que Washington menace de renforcer à brève échéance. Et Donald Trump n’a pas caché son opposition au projet de pipeline Nord Stream 2, qui doit doubler les capacités de livraison de gaz russe en Allemagne. Début juillet, lors du dernier sommet de l’OTAN, le président américain avait critiqué sans ambages ce renforcement de la dépendance énergétique de Berlin vis-à-vis du gaz russe, en qualifiant l’Allemagne de « prisonnière de la Russie ».

Autant de risques pour l’économie russe, actuellement en pleine déconfiture : vendredi, la rouble affichait son plus bas niveau depuis deux ans face au dollar. Une situation d’autant plus délicate que le président russe a vu sa cote de popularité s’effondrer récemment, suite à l’annonce d’une impopulaire réforme sur les retraites.

Samedi soir, Vladimir Poutine a donc soigné son « client » allemand. Dans sa déclaration, il a longuement rappelé la qualité des liens économiques de son pays avec la première puissance économique européenne : la sécurité et la fiabilité des approvisionnements en gaz, les filiales allemandes en Russie et leurs investissements, avec force chiffres et comparaisons. « L’Allemagne est un des premiers clients des ressources énergétiques russes », a-t-il déclaré, en rappelant que le volume d’échanges entre les deux pays a augmenté de 22 % l’an dernier.

« Un tournant dans les relations germano-russes »

Berlin de son côté espère qu’une mission de paix onusienne en Ukraine puisse voir le jour, quatre ans après l’annexion de la Crimée par la Russie. Sur la Syrie, la chancelière veut à tout prix éviter qu’une catastrophe humanitaire vienne renforcer la crise migratoire, tandis que M. Poutine a besoin de l’aide des Européens pour reconstruire le pays. Il a insisté sur la nécessité d’un rétablissement rapide des infrastructures, afin de permettre un retour des réfugiés dans le pays, en particulier ceux qui se trouvent actuellement en Jordanie, au Liban et en Turquie. Un sujet prioritaire pour Angela Merkel.

Reste à trouver une solution politique acceptable : Angela Merkel a précisé souhaiter une réforme constitutionnelle et de nouvelles élections. La Russie de son côté n’a pas l’intention de cesser de soutenir son allié Bachar Al-Assad.

« La rencontre de Meseberg marque un tournant dans les relations germano-russes », souligne Stefan Meister, expert de la région à l’institut DGAP. « Le conflit en Ukraine a longtemps pris toute la place. Aujourd’hui Angela Merkel et Vladimir Poutine sont d’accord sur le fait qu’ils doivent parler des autres sujets. » Une des preuves de ce nouveau rapprochement est l’affirmation des deux pays à l’accord nucléaire iranien, contre la position américaine, juge-t-il.

« Ce nouveau dialogue marqué par le pragmatisme ne signifie pas qu’un nouveau partenariat stratégique va émerger entre l’Allemagne et la Russie. Mais les deux dirigeants veulent envoyer un message en direction de Washington pour montrer n’accepteront aucun chantage de la part de Donald Trump. »