Le « Diciotti », le navire des garde-côtes italiens transporte des migrants vers le port sicilien de Trapani, le 12 juillet. / IGOR PETYX / AP

L’imbroglio n’est pas fini pour les 177 migrants du Diciotti. Lundi 20 août au soir, le navire des garde-côtes italiens, bloqué depuis cinq jours au large de Lampedusa avec ses passagers sauvés en Méditerranée, a certes enfin pu accoster dans le port de Catane, en Sicile, mais ses passagers ont eu interdiction de débarquer, de nouveau pris en otage par un chantage du ministre de l’intérieur, Matteo Salvini.

« Le ministre de l’intérieur n’a pas donné et ne donnera pas d’autorisation au débarquement des migrants du Diciotti tant qu’il ne se sera pas assuré que les 177 migrants iront ailleurs », a rapporté l’agence de presse ANSA, en citant des sources ministérielles.

Moins d’une semaine après l’accord sur l’Aquarius, qui a permis, sous l’égide de la France, de répartir 141 migrants depuis Malte vers cinq pays, le très eurosceptique chef de file de la Ligue (extrême droite) semble vouloir profiter de la même solution, qui avait alors été saluée par les ONG comme une « ébauche de système européen ». L’Italie, qui ne faisait pas partie des cinq pays de l’accord initial sur l’Aquarius, avait d’ailleurs discrètement accepté d’accueillir vingt migrants dans un second temps.

Rome accuse Malte

« Maintenant, l’Europe doit se presser de faire sa part », a expliqué sur Twitter le ministre italien des transports Danilo Toninelli lorsqu’il a annoncé que le Diciotti avait finalement l’autorisation de rejoindre les côtes siciliennes. Ce membre du Mouvement 5 étoiles (M5S), allié à la Ligue, ne semblait toutefois pas en faire une condition pour autoriser le débarquement.

Mais Matteo Salvini a, lui, un problème particulier avec le Diciotti. Le navire avait recueilli les migrants dans la nuit du 15 au 16 août entre les côtes maltaises et l’île de Lampedusa sans attendre l’autorisation de Rome, provoquant la colère du ministre. D’autant qu’en juillet déjà, les garde-côtes du même bateau avaient ignoré les consignes du gouvernement et avaient secouru 450 migrants entassés sur une barque de pêche.

M. Salvini a accusé les autorités maltaises d’avoir délibérément « accompagné » l’embarcation des migrants « vers les eaux italiennes » plutôt que de la sauver. La Valette a rétorqué que le bateau n’était pas en besoin de sauvetage et que les garde-côtes italiens ont « intercepté les migrants à l’intérieur de la SAR [zone de recherche et de secours] maltaise seulement pour les empêcher d’entrer dans les eaux italiennes ».

M. Salvini a ensuite menacé de renvoyer les migrants en Libye. « Soit l’Europe décide sérieusement d’apporter une aide concrète à l’Italie, soit nous serons obligés d’agir afin d’éradiquer définitivement le business des passeurs de clandestins en raccompagnant vers les ports libyens les personnes récupérées à la mer », a expliqué le chef de la Ligue, en feignant d’oublier que la convention de Genève empêche tout pays membre de reconduire des migrants en Libye, dont les ports ne sont pas considérés comme sûrs.

Salvini multiplie les provocations

Après cinq jours au large de Lampedusa, les critiques se sont multipliés contre le ministre de l’intérieur. « Il y a des femmes et des enfants à bord de ce bateau, le gouvernement ne peut pas se voiler la face », s’est notamment indigné le sénateur Edoardo Patriarca (Parti démocrate, gauche). Seules treize personnes ont été évacuées en urgence vers l’hôpital de Lampedusa pour y être soignées.

Si M. Salvini multiplie les provocations, d’autres membres du gouvernement italien semblent agir, en coulisses, avec plus de diplomatie. Le ministre des affaires étrangères, Enzo Moavero Milanesi, un technocrate plus discret, a ainsi écrit à Bruxelles pendant le week-end pour demander une répartition des sauvés du Diciotti. Lundi, la Commission européenne a annoncé avoir pris « contact avec tous ceux qui peuvent aider à trouver une solution ».

« Des discussions sont en cours », confirme l’Elysée, où l’on affirme « ne pas avoir de raison de refuser à l’Italie ce qu’on fait pour d’autres en répartissant les migrants », mais à condition que Rome « joue le jeu de la solidarité ». C’est-à-dire : « Accepter aussi des migrants débarqués ailleurs, continuer à débarquer sur son sol lorsque les règles de secours le prévoient, accepter un mécanisme pérenne. »

Discuté lors d’un Conseil européen fin juin, ce mécanisme prévoit de mettre en place des « centres contrôlés » européens pour accueillir les migrants avant de répartir ceux susceptibles d’obtenir l’asile dans des « pays volontaires ». Mais il peine jusqu’ici à se mettre en place, comme en témoigne cette nouvelle crise.