Il y a près de dix ans, le 15 septembre 2008, l’administration américaine laissait la banque Lehman Brothers faire faillite, entraînant le monde dans la plus grave crise financière depuis celle de 1929. Qui aurait alors imaginé que, sur les cendres de la crise, débuterait la plus longue période de hausse des marchés financiers américains ?

Infographie Le Monde

Mercredi 22 août, le S&P 500, l’indice de référence des investisseurs à la Bourse de New York, a franchi un record, celui du plus long cycle de hausse sans krach. La séquence haussière remonte au 9 mars 2009, et vient donc de dépasser, en nombre de jours, celle qui avait couru de novembre 1990 à mars 2000 (3 452 jours). Ce bull market (« marché du taureau », symbole de la puissance de Wall Street) s’est traduit par une envolée de 325 % du S&P 500 depuis son dernier point le plus bas.

Comment expliquer la durée inédite de ce cycle « haussier » ? « Nous partions de très bas, rappelle en préambule Frédéric Rollin, stratégiste de la banque Pictet. Post-crise 2008, les valorisations sur les marchés actions étaient très faibles. »

La Bourse a profité de la politique monétaire engagée par la banque centrale américaine en réponse à la crise, puisque la baisse radicale et durable des taux a incité les investisseurs à se tourner vers des actifs plus risqués. Depuis 2015, la hausse des taux très progressive impulsée par la Fed n’a pas perturbé les marchés.

La réforme fiscale extrêmement favorable aux entreprises américaines menée par Donald Trump n’a pas manqué de soutenir Wall Street. Les baisses d’impôts et l’incitation à rapatrier les fonds placés à l’étranger ont gonflé leurs bénéfices trimestriels et ont encouragé les groupes à accélérer leur politique de rachats d’actions.

Record de rachat d’actions

Les champions américains en excès de trésorerie s’adonnent de plus en plus frénétiquement à ces opérations qui consistent à racheter leurs propres titres puis à les supprimer, afin de faire progresser le bénéfice par action (moins d’actions à bénéfice constant) et ainsi de soutenir leurs cours de Bourse. Selon la dernière estimation de Goldman Sachs, reprise le 6 août par le Financial Times, les firmes américaines pourraient cette année racheter 1 000 milliards de dollars de leurs propres actions. Un record absolu (+ 46 % sur un an).

Wall Street serait-elle dès lors orientée artificiellement en hausse ? « Le marché est un peu cher, mais ce n’est pas scandaleux compte tenu des bénéfices affichés par les entreprises américaines, en particulier les géants de la tech, qui n’ont par ailleurs pas de dette et disposent d’une trésorerie pléthorique », estime Tangi Le Liboux, stratégiste chez Aurel-BGC. « Le cycle économique est positif sur une période particulièrement longue, renchérit Frédéric Rollin. Une économie arrive à la fin d’un cycle lorsqu’elle atteint le plein-emploi et que l’inflation resurgit. Or, aujourd’hui, aux Etats-Unis, malgré un taux de chômage très faible, l’inflation reste contenue. »

Les observateurs ne s’attendent donc pas à un renversement de tendance imminent, un bear market (« marché de l’ours », baissier), déclenché – selon une convention de marché – par un repli de 20 % du S&P. « Des signaux invitent à la prudence, prévient toutefois M. Rollin. Il existe des tensions sur le marché du travail américain, les secteurs immobilier et automobile, sensibles à la hausse des taux, marquent un peu le pas et la hausse du dollar va ralentir l’économie. » S’y ajoutent les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine.