Editorial du « Monde ». Qualifier la situation au Venezuela de catastrophique est un triste euphémisme. Ses habitants fuient le pays par dizaines de milliers, provoquant un exode sans précédent sur les routes d’Amérique latine. Ce ne sont plus, désormais, les diplômés ni les membres de la bourgeoisie vénézuélienne qui s’en vont, ce sont, surtout, les gens des classes modestes. Ils partent à pied, un baluchon sur le dos ou une valise à roulettes à la main. Ils traversent la Colombie, qui abrite déjà près de 1 million de leurs compatriotes et n’en veut plus. Ils font des milliers de kilomètres pour traverser encore l’Equateur, atteindre le Pérou, le Chili, le Brésil, où, espèrent-ils, ils pourront trouver de quoi vivre et permettre à leur famille restée au Venezuela de survivre.

Beaucoup d’entre eux ont cru à la « révolution bolivarienne » du chavisme et à l’avenir radieux vanté par Nicolas Maduro. Aujourd’hui, ils sont désespérés et se heurtent à des gouvernements voisins de moins en moins accueillants.

S’il faut un symbole de l’interminable échec du régime de Nicolas Maduro, ces 2,3 millions de Vénézuéliens qui ont fui leur pays depuis trois ans, selon l’ONU (sur une population de 32 millions), en sont incontestablement un. Un autre est le plan économique surréaliste présenté, le 20 août, par le président Maduro pour tenter de maîtriser l’hyperinflation, qui dépasse désormais 80 000 % en taux annuel, battant tous les records latino-américains : une dévaluation de 95 % du bolivar, la monnaie nationale, remplacé par une hypothétique monnaie, le « bolivar souverain ». Le salaire minimum est multiplié par 35, pour tenter de compenser les hausses de prix, comme celle du carburant, qui ne bénéficiera plus de subventions.

Personne ne croit que ce plan, comme l’affirme Nicolas Maduro, remettra le pays sur le chemin de la prospérité. Le Venezuela s’est effondré, comme la production de pétrole, qui est tombée à son plus bas niveau depuis la fin des années 1940. Eviscérée par Hugo Chavez puis par son successeur, la compagnie nationale du pétrole, PDVSA, qui fut l’un des fleurons de l’Amérique latine, n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Partir ou protester

Deux solutions se présentent aux Vénézuéliens : protester, encore, ou partir. Mais protester, au Venezuela, est dangereux : 160 manifestants ont été tués l’an dernier, des centaines sont en prison. Décapitée, l’opposition est dispersée.

Combien de temps Nicolas Maduro peut-il encore se maintenir au pouvoir dans ces conditions ? Il a compté jusqu’ici sur le soutien de l’armée et l’aide précieuse des services de sécurité cubains. Si l’appui de Cuba semble toujours solide, celui de l’armée n’est pas éternellement garanti. Ses rangs ne sont pas hermétiques au mécontentement. Des arrestations ont été opérées parmi les officiers. Le 4 août, le monde entier a pu voir la débandade des soldats de la garde nationale alignés lorsqu’une attaque au drone a visé le président Maduro en pleine parade militaire, dans le centre de Caracas.

La responsabilité de cet attentat reste floue, mais il est probable que ce ne sera pas le dernier. Les diatribes de M. Maduro contre Washington, qu’il accuse de tous les maux du pays, ont fait long feu. Tant que le président Maduro bloquera tout changement démocratique, comme il le fait depuis la victoire de l’opposition aux élections législatives de 2015, et tant qu’il poursuivra sa désastreuse politique économique, le risque de coup d’Etat persistera. Et l’exode continuera.