L’homme d’affaires camerounais Joseph Kadji Defosso est mort le 23 août 2018. / Mevalbert / Creative Commons

Aline Mireille a les yeux rivés sur l’écran fissuré de son iPhone 6. Dans le groupe WhatsApp des jeunes entrepreneurs camerounais dont elle fait partie, les hommages ne cessent de tomber depuis l’annonce, jeudi 23 août, de la mort de l’industriel Joseph Kadji Defosso, qu’elle surnommait affectueusement « mon idole et infatigable guide ».

« J’ai pleuré à chaudes larmes quand j’ai appris la nouvelle, confie la femme de 37 ans, ingénieure télécoms et fondatrice d’une entreprise de transit. Il y a plus de dix ans, je l’ai rencontré par le biais d’un membre de sa famille en Europe, où j’achevais mes études. A l’époque, je rêvais de créer mon entreprise et j’avais peur de me lancer. Il m’a dit : “De qui as-tu peur ? Bats-toi pour réaliser ce rêve et ne pas devenir frustrée.” J’ai suivi son conseil et aujourd’hui, je suis cheffe d’entreprise. »

Le Cameroun pleure l’un de ses hommes d’affaires les plus emblématiques. Sur les réseaux sociaux, dans les journaux, à la radio et à la télévision, certains se souviennent, comme Aline, du « capitaine et pionnier d’industrie ». D’autres prient pour le repos de l’âme du « roi des affaires », du « grand bâtisseur », de « l’autodidacte devenu multimilliardaire » (en francs CFA) ou encore de « cet exemple pour tous les jeunes entrepreneurs ».

Joseph Kadji Defosso est mort en Afrique du Sud des suites d’une longue maladie, a indiqué sa famille dans un communiqué. Il avait 95 ans et aura passé plus de cinq décennies à bâtir, dès l’indépendance du Cameroun en 1960, un empire qui s’étend désormais de l’immobilier aux assurances en passant par les brasseries, l’hôtellerie, le cinéma, le sport… Sa fortune était évaluée à 205 millions de dollars (176 millions d’euros) par le magazine Forbes, ce qui en faisait l’un des dix plus riches hommes d’affaires du Cameroun.

« Il a su conquérir sa place »

Né vers 1923, Joseph Kadji a manifesté très tôt sa passion pour les affaires. Il quitte son village natal, Bana, situé dans la région de l’Ouest, pour s’installer à Douala, capitale économique du Cameroun, où il se lance dans la vente des produits alimentaires et matériels de bureau. Au fil des années, il diversifie ses activités en construisant des immeubles et en lançant la Société des céréales du Cameroun, les Assurances générales du Cameroun… En 1995, il crée la Kadji Sports Academy, école de football d’où sortiront des footballeurs camerounais comme Samuel Eto’o.

Mais son œuvre la plus connue reste l’Union camerounaise des brasseries (UCB), productrice de boissons gazeuses et de bières, dont la Kadji Beer, qui lui vaudra le titre de « premier brasseur d’Afrique subsaharienne ». A la création de cette entreprise, en 1972, le marché camerounais est dominé par des groupes européens comme la Société anonyme des brasseries du Cameroun (SABC, du français Castel). Mais Joseph Kadji Defosso ne se décourage pas et l’UCB est aujourd’hui la troisième entreprise brassicole du pays.

« Sa volonté d’aller de l’avant, de dépasser ses limites et de bâtir un empire pour les générations futures m’a toujours fascinée. En plus de quatre décennies, il a bousculé les multinationales dans le secteur brassicole et, avec fierté, il a su conquérir sa place », s’extasie Mérimé Wilson Ngoudjou, journaliste et écrivain fondateur du site Cameroon CEO consacré à l’entrepreneuriat.

Maire de Bana depuis 2002

Joseph Kadji Defosso était aussi connu pour ses activités politiques. Un temps soupçonné de financer l’opposition, il avait fait taire ses détracteurs en affichant son soutien au parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Depuis 2002, il était maire de Bana sous la bannière du parti. Il avait été réélu en 2007 et 2013. « Il disait qu’il avait le numéro direct du président Paul Biya », se souvient un opposant camerounais.

« Il aimait la franchise et était un travailleur acharné dans tout ce qu’il entreprenait, affirme Jean-Marie Kakmani, deuxième adjoint au maire de Bana et proche de la famille. J’étais le proviseur du lycée de Bana et papa Kadji m’a montré qu’à force de travail, on pouvait se faire aimer et élire. »

Grand chevalier de l’ordre national de la valeur, Joseph Kadji Defosso, affaibli par la maladie, avait confié la direction de certaines de ses entreprises à ses enfants. Il avait réussi à transmettre sa passion entrepreneuriale à ses nombreux petits-enfants, dont certains sont aujourd’hui à la tête de leur propre entreprise.