Le pianiste cubain Ramón Valle / GERHARD RICHTER

Vous avez publié trois albums très différents en trois ans : Take Off, une rétrospective enregistrée en public de votre carrière, The Art of Two, duo flûte-piano d’inspiration classique et The Time is Now, votre nouvel opus. Que représentent ces trois albums à vos yeux ?

Chacun de ces albums possède sa propre personnalité. Take Off se penche sur mon trio acoustique. J’explore les idées que j’ai développé dans mes perspectives de musicien de jazz. J’y joue également des titres plus anciens avec une nouvelle approche, plus adulte.

The Art of Two est un hommage à ma famille, la famille Valle. C’est une conversation entre deux cousins. Orlando [le flûtiste Orlando « Maraca » Valle] et moi avons ressenti le besoin de remercier notre famille, nos grands-parents, ma mère et mon père, ainsi que les parents d’Orlando qui ont toujours été là pour nous.

The Time Is Now est un album plein de surprises. Est-ce l’album pop de Ramón Valle ?

Vous savez, en tant que musicien vous devez rester connecté à ce qu’il se passe autour de vous. J’ai demandé à mes enfants, ma fille Dayla et mon fils Fabio : « Vous écoutez quoi, comme musique ? » Ils m’ont répondu : Bruno Mars, Ariana Grande, Beyonce et m’ont donné leurs albums à écouter [rires]. Je suis retourné à mon studio et j’ai commencé à écrire en m’inspirant de ces ambiances. Voilà comment The Time is Now est né !

Malgré son inspiration, The Time is Now sonne comme dans les années 70 et 80...

Tout-à-fait. L’esprit est le même. C’est l’explication du titre d’ouverture, Timeless Generation. Quand j’ai écouté cette musique, j’ai réalisé que, fondamentalement, c’était une musique qui existait déjà. Les harmonies, la section rythmique sont les mêmes que dans les années 70. Pour les jeunes c’est une musique nouvelle, mais pour nous c’est la même musique interprétée par de nouveaux musiciens !

Vous avez introduit plusieurs nouveautés dans cet album. A côté du piano, vous jouez du Fender Rhodes.

Jouer du Rhodes n’est pas naturel pour moi parce que mon corps tout entier est attiré par le piano, mais je l’ai déjà fait par le passé. Je jouais piano et claviers chez Silvio Rodríguez et Santiago Feliú.

C’est bien un Vocoder que vous avez utilisé ?

C’est ça. J’ai eu beaucoup de mal à trouver le bon modèle. Pour moi, utiliser le Vocoder n’était pas un gadget. J’y avais réfléchi. Je l’ai utilisé comme un instrument de musique.

Donc sur l’album, vous jouez piano, Fender et Vocoder...

Exact. Je suis le seul musicien du groupe qui travaille trois fois plus que les autres... pour le même salaire ! Je ne suis vraiment pas un bon businessman. [rires]

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Vous avez invité Roy Hargrove sur votre album. Comment l’avez-vous connu ?

Roy, c’est mon frère !!! je l’ai rencontré il y a longtemps au North Sea Jazz Festival, en l’an 2000 ou quelque chose comme ça.

Il m’avait vu répéter. Il s’est écrié : « Wow ! » et a demandé à me parler. Horacio « El Negro » Hernandez nous a présenté. Plus tard, on a joué ensemble la musique de Ernesto Lecuona sur mon album Danza Negra.

A chaque fois qu’il parle de moi, il dit : « C’est Ramón, le Maestro ! ». A chaque fois qu’on se rencontre, il me fait « Maestro ! ». Je le prends comme un compliment parce que je pense la même chose de lui. C’est lui, le Maestro !

Roy Hargrove joue un rôle important dans The Time is Now, n’est-ce pas ?

J’ai voulu utiliser sa trompette, son son. J’ai perdu mes parents en très peu de temps l’an dernier. Ils sont partis en deux mois. J’ai composé deux morceaux, un pour mon père qui jouait de la trompette et un autre pour ma mère.

Pour tout vous dire, à ce moment-là, il n’y avait que Roy qui pouvait le faire et ça, je le savais car nous sommes très connectés musicalement. Avoir sa trompette sur le morceau de ma mère était symbolique. Je l’avais rêvé très précisément et il l’a parfaitement exécuté.

Ernesto Simpsons [l’ancien batteur de Ramón] a disparu ? Vous jouez désormais avec un jeune batteur hollandais, Jamie Peet.

Ernesto est tellement pris... Il donne des concerts à droite à gauche. On a beaucoup parlé avec Jamie. Il fallait laisser le piano chanter, parce que c’est lui le leader. Jamie est un bon musicien qui joue un peu de la basse et du piano. Il sait être à l’écoute de ce qu’il se passe autour de lui. La batterie peut être dominante face aux autres instruments mais Jaimie leur laisse l’espace nécessaire.

On a pu voir le résultat au concert que vous avez donné au North Sea Jazz Festival. Jamie apporte une énergie nouvelle au trio. L’ensemble comprenant Jamie à la batterie et Omar Rodriguez Calvo à la contrebasse fonctionne très bien.

Ce concert m’a rappelé une conversation que nous avions eu ensemble à Paris au Sunset. Vous me racontiez combien la liberté était importante pour vous en tant que musicien. Au North Sea, vous avez commencé à jouer Levitando, votre signature, et immédiatement après le thème principal, vous êtes parti ailleurs. Est-ce que c’est ça pour vous, la liberté ?

C’est intéressant que vous parliez de ça parce qu’il y a parfois une incompréhension autour de la notion de liberté dans le jazz. Vous n’avez pas besoin de jouer du free jazz pour vous sentir libre. C’est un état d’esprit. [Ramón marque une pause]

Je suis content que vous l’ayez remarqué. Vous avez vu ? Je me suis envolé. Pendant cette liberté, je suis allé dans ma galerie personnelle qui comprend Stravinsky, Bach, Peruchín et tellement d’autres...

Le public était complètement connecté...

C’est vraiment gratifiant parce que quand vous êtes sur scène, vous ouvrez votre cœur. Vous ne jouez pas la comédie.

Il faut que je vous dise. Je souffrais terriblement de la chaleur -Il faisait si chaud !- Je n’arrivais même plus à ouvrir mes yeux à cause du sel sur mes paupières. Plus tard quand j’ai vu la vidéo du concert j’ai été surpris de voir que j’avais pris du plaisir !

Ce qui s’est passé là-bas était rare parce qu’au North Sea vous avez tellement de concerts que beaucoup de gens zappent de concert en concert. Le public est resté et a profité de l’instant présent.

Alors ça veut dire qu’il faut continuer ! [Il éclate de rire]

Ramón Valle Trio : The Time is Now (2018, In+Out Records)

>> Entretien publié en anglais sur le site London Jazz News