Aux Invalides, à Paris, une exposition passionnante du Musée de l’Ordre de la Libération met en scène les travaux de Joseph Hackin et Marie, dite Ria, sa femme, découvreurs, en Afghanistan, de Begram, l’Alexandrie du Caucase, située à cent kilomètres au nord-est de Kaboul – l’une des dizaines de villes fondées par Alexandre Le Grand en route vers l’Inde, au IVe siècle avant notre ère.

Fils de cocher, Joseph Hackin (1886-1941) est l’une des grandes figures de l’archéologie orientale. Il met au jour les trésors enfouis aux pieds des sommets vertigineux de l’Hindoukouch. Luxembourgeois naturalisé français, diplômé de sciences politiques à 20 ans, Hackin se passionne pour l’Asie, devient le secrétaire d’Emile Guimet, dans le musée éponyme de l’industriel lyonnais, et étudie la philologie, le sanscrit et le tibétain à l’Ecole pratique des hautes études. Nommé conservateur-adjoint à Guimet, il rejoint l’Afghanistan à l’appel d’Alfred Foucher, directeur de la toute nouvelle Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA), créée en 1922 à la demande du roi Amanullah, et auquel il succède.

Stèle de schiste représentant le « Bouddha au grand miracle », l’eau sortant de ses pieds, le feu de ses épaules, provenant du monastère de Païtava à Kapisa, Afghanistan. / MNAAG

Lors de campagnes de fouilles successives (1924-1940), il explore le site bouddhiste de Bamiyan, ses monastères et grottes creusés par centaines dans la falaise sur un kilomètre de long, avec l’aide de l’architecte Jean Carl et de Ria. Les dessins et aquarelles d’Alexandre Iacovleff, qui est à leurs côtés, demeurent les rares preuves des décors disparus, comme les relevés des grands bouddhas détruits à l’explosif en 2001 par les talibans. Sur les peintures murales se lit le subtil mélange des codes et palettes des arts indien, sassanide et romain d’Orient, dans une exhubérance sensuelle.

Un énigmatique trésor

Ouvrant l’exposition, la carte de l’Afghanistan dessine le chaos de montagnes irriguées de voies d’eau, au carrefour entre la Chine, l’Inde, l’Iran et l’Asie centrale ; une contrée que les grandes puissances n’ont cessé de convoiter pour ses richesses minières – lapis lazuli, or, émeraude, terres rares, cuivre… (Le Monde, Grand format, Mes Aynak, 11 mai 2017). Les lettres, manuscrits et carnets de fouilles, de la petite écriture régulière de Joseph Hackin, complètent les films et photos pris par Ria et projetés dans l’exposition. Equipée d’un appareil Rolleiflex et d’une caméra, elle s’intéresse à la vie locale, aux populations dont elle est proche, relevant les légendes et contes dont elle fait un recueil.

Flacon ichtyomorphe, en forme de poisson, en verre soufflé, Ier siècle, provenant de Syrie ou d’Alexandrie, trouvé parmi les pièces du trésor de Begram. / MNAAG/RMN-GP/THIERRY OLLIVIER

C’est à Ria qu’est confiée la gestion du chantier de fouilles de Begram (1937-1939) dont elle exhume un énigmatique trésor. « Deux pièces étaient remplies de plusieurs centaines d’objets en verrerie provenant d’Alexandrie ou de Syrie, dont une représentation du phare d’Alexandrie –le meilleur document existant –, et un poisson en verre (Ier-IIe siècles), raconte Philippe Marquis, actuel directeur de la DAFA. Mais aussi, par milliers, des petits portraits de divinités ou donateurs, d’une facture délicate en argile polychrome, d’influence indienne, recouvertes de feuilles d’or pour les bouddhas. Et des milliers de petites pièces d’ivoire, des placages de meubles finement ciselés, une production indienne du Ier siècle dont on n’a aucune trace en Inde aujourd’hui ». Des objets prêtés la plupart par le Musée national des arts asiatiques Guimet (MNAAG).

En 1940, Ria et Joseph Hackin répondent à l’appel du général de Gaulle et rejoignent la France libre. Chargé d’une mission diplomatique en Inde, en Asie et au Moyen Orient, Joseph embarque en février 1941 avec Ria à Liverpool. Ce sera leur dernière mission, le steamer Jonathan Holt est torpillé par les Allemands au large des îles Féroé.

« De l’Asie à la France libre. Joseph et Marie Hackin, archéologues et compagnons de la Libération ». Musée de l’Ordre de la Libération, Hôtel des Invalides, place Vauban, Paris 7e. Tous les jours de 10 heures à 18 heures. Entrée de 10 € à 12 €. Jusqu’au 16 septembre. www.ordredelaliberation.fr